S’il y a bien un conseil que j’ai envie de donner à tous ceux qui veulent faire du blogging, voire même du journalisme, c’est bien celui de faire super gaffe avant de commencer une interview. Non parce que s’entretenir avec des gens quand on a un mal de tronche de la taille du Yémen, c’est juste un coup à créer de gros moments de pur malaise en plus d’avoir des notes moins détaillées que d’habitude. Donc, encore une fois, je tiens à m’excuser auprès d’Adrien et de Vincent pour les conditions moins qu’idéales dans lesquelles s’est tenu cet entretien et je continuerai à me maudire de ne pas avoir eu de cachetons sous la main.
Bref, place au véritable article… Juste après cette photo d’alpagas.
Suite aux précédents articles et vos retours plus qu’encourageants – dont je vous suis très reconnaissant – j’avais envie de continuer à interroger des gens du milieu du jeu vidéo bordelais afin de continuer à dégager une image de ce paysage des plus mystérieux. Car avoir un témoignage d’une personne, c’est bien beau. Avoir des témoignages de quatre personnes, ça l’est encore plus. Mais quatre, c’est peu pour avoir une idée précise du tableau à peindre.
Et pour le coup, j’ai été chanceux, puisque peu après la publication des deux premières parties, j’ai été contacté par Adrien Forestier du studio Black Flag et Vincent Themereau, développeur totalement indépendant. Tous deux m’ont contacté pour me soumettre leurs projets en vue d’écrire des critiques (qui arriveront peu après la publication de celui-ci) et j’ai carrément saisi l’occasion en plein vol pour les rencontrer en personne. L’opportunité n’aurait pas pu être plus parfaite et donc nous nous sommes retrouvés le mercredi 27 Avril 2016 à La Zone du Dehors, une librairie indépendante doublée d’un café super chouette située cours Victor Hugo et tenue par un ami (et sachant que je n’ai pas décidé du lieu, on peut dire que les coïncidences sont parfois des plus heureuses). D’ailleurs, un autre conseil que je devrais filer aux apprentis journalistes et blogueurs : demandez une photo des personnes que vous allez interviewer avant d’aller sur le terrain, pour éviter d’avoir l’air con quand une personne que vous ne connaissez pas vous alpague dans la rue en mode “Ah bah te voilà !”… Pour le coup, j’ai eu assez de chance, puisque mon ego surdimensionné fait que je poste de manière thérapeutique des photos de ma trogne sur Twitter plus ou moins deux fois par semaine, donc eux n’ont eu aucun problème à me reconnaître dans la rue. Comme quoi, le narcissisme excessif, ça paye ♫
Et grâce à l’heure et demie qui a suivie, j’ai non seulement pu dégager des tendances assez similaires à celles que j’avais déjà pu discerner lors de ma précédente rencontre, mais j’ai aussi levé le voile sur un gros mystère qui faisait tourner mes méninges pendant le gros de deux semaines.
Le crâne déjà sur le point d’exploser, je demande de manière assez déplacée à Vincent et Adrien de se présenter. Adrien est le co-fondateur du studio Black Flag et aussi un professeur en Game Design à l’ECV, l’École de Communication Visuelle, une école privée abordant toutes sortes de médias visuels, allant de l’animation au jeu vidéo. En creusant un peu plus, je découvre un parcours des plus originaux, puisque pendant quelques années et après avoir bossé une fois avec des alpagas (sisi, sérieusement), Adrien a travaillé dans plusieurs studios pour développer des jeux sur commandes. Une des raisons qui lui a fait claquer la porte de ce mode de production de jeux il y a trois ans, c’est une commande pour faire un jeu promotionnel pour Clara Morgane… On peut facilement comprendre sa décision.
Puis ce fut au tour de Vincent de se présenter. Pour le coup, son parcours est tout aussi particulier, puisqu’il bossait dans la conception de logiciels pour des boîtes de télécom avant de déménager à Bordeaux. Sitôt arrivé dans la ville, il décide de puiser dans ses économies pour développer le jeu de ses rêves : PolyRace, un jeu de course mobile avec génération procédurale des circuits. Aucune notion de graphisme ni de level-design, il apprend tout sur le tas. Et parce que le marché du mobile est absolument saturé et que les fans de ce genre de jeux s’éclate bien plus souvent sur PC, il est décidé de le sortir sur Steam. Au final, grâce à un partenariat avec Plug-In Digital (éditeur chez qui Black Flag a aussi décidé de confier Yrminsul), le jeu sort en Mars et se vend. Pas de quoi partir au Venezuela pour élever une tribu de lamas aborigènes, mais il se vend un peu. Et les critiques sont plutôt bonnes ! Les joueurs aiment bien le côté hardcore et trouvent le concept plutôt original. Personnellement, j’ai eu un peu de mal à y jouer et j’ai passé quelques minutes à lui expliquer en face ce que j’appréciais et appréciais moins, mais Vincent était plus que compréhensif et écoutait avec attention mes critiques.
On a donc discuté de l’avenir proche. Vincent compte continuer de faire évoluer Polyrace en ajoutant du multijoueur en split-screen, deux univers supplémentaires ainsi que de créer des tracés en boucle (à l’heure actuelle, on ne peut qu’aller en ligne droite) et ajouter la possibilité de choisir son véhicule pour les défis du jour en plus de corriger les quelques petits problèmes que j’avais pu remarquer. Mais pour pouvoir opérer à ces changements, il va falloir des fonds, chose que Vincent n’a pas pour l’instant, donc il met le projet en pause, le temps de travailler dans deux-trois boîtes et possiblement en tant que codeur. Car s’il y a bien quelque chose que son expérience sur son premier jeu a démontré, c’est qu’il adore coder et en ferait n’importe quand s’il le pouvait. De plus, s’il peut relever des bons gros défis, ça lui ira parfaitement, car même si la génération procédurale peut donner des airs de solution miracle pour level-designer paresseux (ce qui est faux si on a pour ambition de faire un bon jeu), à coder, c’est un véritable cauchemar… Ce qui tombe bien, dans un sens.
Du côté d’Adrien et de Black Flag, après avoir travaillé avec ses étudiants sur un jeu de plateforme isométrique nommé Game Over, puis avoir fait un hybride RPG/Tower-Defense/Jeu de stratégie avec Yrminsul, le studio bosse dur sur un nouveau projet plus qu’ambitieux du nom de Orphan Age.
Et pour le coup, c’est une quasi-exclusivité, puisque le projet n’a été que teasé sur Twitter le jour même de l’interview, donc j’ai plus ou moins mis la main sur les premières infos (#FiertéPersonnelle) ! Ainsi, Orphan Age sera un projet hybride où l’on contrôlera un gang d’enfants orphelins devant survivre dans un monde futuriste en proie à la guerre. Il faudra donc gérer leurs besoins tout en explorant des lieux abandonnés tout en espérant ne pas tomber sur des ennemis très difficiles à battre. On m’a donné comme point de comparaison “un mix entre les Sims et This War of Mine”. Autrement dit : ça promet ! Le jeu est à un stade encore assez peu avancé, mais dans le but d’attirer des financements extérieurs, le studio travaille d’arrache-pied à la conception d’une portion de niveau. Le but pour l’instant est de montrer un prototype fonctionnel qui déchire un minimum la rétine et possiblement le mettre à disposition des joueurs en Early Access à la fin de l’année.
Et les plus grands auteurs diront comme moi que quand on passe beaucoup trop de temps dans un univers, il arrive un moment où l’on ne veut plus le quitter et on veut continuer de le voir grandir (en écrivant trois milliards de spin-offs différents au lieu d’avancer dans l’histoire principale, comme je le fais actuellement…). Adrien connaît aussi ce sentiment, puisqu’il envisage de replonger dans le monde d’Yrminsul en développant une suite, car il a bien aimé bosser sur les personnages. Alors il ne s’agirait pas d’une suite directe avec les mêmes mécaniques de jeu, mais l’idée reste encore ça : une idée. Dans tous les cas, Orphan Age reste la priorité, donc si Yrminsul 2 il y a, ça ne sera pas avant au moins 2-3 ans… Et encore.
Et puis on en est arrivé à la partie sur le jeu vidéo et Bordeaux. Encore une fois, j’ai eu ce retour prédisant la montée en puissance de la ville en cas de partenariat entre l’association Mandora et Bordeaux Games, qui allieraient relations publiques et professionnelles dans un gloubiboulga glorieux qui permettrait au grand public de comprendre que Bordeaux est aussi une ville à fond dans le développement de jeux.
Cependant, là où la conversation a pris un tournant bien plus intéressant par rapport à la peinture de ce large tableau en cours, c’est lorsque Adrien a levé le voile sur les activités de Bordeaux Games, car, après tout, il fait partie du conseil d’administration de l’association. Ainsi, la dernière fois, j’avais entendu dire que l’asso était “dormante” et venait que très récemment de se réveiller pour remettre en contact les différents acteurs du jeu vidéo bordelais.
Ceci… N’était qu’en trèèèèès petite partie vraie, car derrière son sommeil apparent pour les petits développeurs, l’association focalisait tous ses efforts sur l’amélioration de l’image du jeu vidéo auprès de la classe politique. Ainsi, l’association s’est retrouvée à lutter en faveur de la création du crédit d’impôt pour le milieu, entre autres mesures concrètes pour empêcher la fuite des cerveaux vers le Québec ou dans d’autres pays où la création est mieux valorisée.
Mais, voyant que la politique française est aussi réactive qu’une méduse sur un rebord de plage, il a récemment été décidé de faire machine arrière et de profiter de la fusion des régions pour souder le milieu en plus de plaider en faveur de créations de fonds. Car, et c’est là que ça devient assez triste : le jeu vidéo à Bordeaux… Bah on s’en tape. L’Aquitaine a encore énormément de mal à comprendre l’importance que peut avoir le secteur d’un point de vue économique, probablement encore en train de penser que le jeu vidéo n’est qu’une activité faite par passion et abrutissant les masses et non quelque chose pouvant ouvrir l’esprit des gens en plus de rapporter un sacré paquet de pognon. Par exemple, Asobo aide la région en produisant des jeux… Financés par des boîtes américaines comme Microsoft (pour tout ce qui est Hololens) ou bien Disney (pour les adaptations de leurs licences), signifiant que la région n’a même pas à débourser un rond ! S’ils injectaient un minimum d’argent pour aider les développeurs indépendants à produire, on se retrouverait avec des jeux capables de rivaliser avec ceux d’Ubisoft Montpellier ou bien Dontnod.
Cela dit, ceci est en train de changer, puisque, pour revenir à la fusion des régions, l’Aquitaine va désormais englober la région Poitou-Charentes. Or, cette région comprend une certaine ville nommée Angoulême. Et Angoulême, c’est une des capitales de la culture française. Les créateurs de cette région y sont chouchoutés et reçoivent plus de fonds plus facilement grâce à des institutions comme Magelis. Ainsi, si les acteurs bordelais jouent bien leurs cartes, il sera possible de hijacker les système angoumoisin et ainsi forcer la région à réajuster son seuil de financement en fonction. Autant dire que les prochains mois s’annoncent plus qu’intéressants.
J’ai également mis la main sur une donnée assez surprenante si l’on se place du point de vue de celui qui ignore les activités souterraines de sa ville : le nombre de personnes bossant de près ou de loin dans le jeu vidéo dans la région bordelaise se situe entre trois-cent et quatre-cent, la plaçant dans le top 5 des villes les plus actives dans ce domaine ! Et le pire, c’est que quasi-personne n’est au courant de ça, aussi bien le grand public que les principaux intéressés. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer de les recenser et les réunir lors de soirées spéciales, sauf que personne n’est mis au courant à cause d’un gros problème de communication. Donc avec un peu de chance, si toi aussi est un développeur indépendant vivant sur Bordeaux et que tu lis ça, n’hésites pas à me contacter ou à contacter directement Bordeaux Games, puisqu’il y a moyen pour que tu puisses toi aussi rencontrer d’autres développeurs de ta région (hum…). De ce que j’ai pu comprendre (et vivre), l’ambiance y est vraiment cool et tout le monde se serre les coudes en résolvant des problèmes ou bien en offrant des conseils plus qu’utiles. À noter qu’il est prévu que des rencontres s’organisent bien plus souvent, et possiblement une à deux fois par mois si tout se passe bien.
Après un petit moment de flottement où je sentais un ouvrier mental jouer du marteau-piqueur dans ma boîte crânienne, il fut décidé de nous séparer, car l’heure tournait et rentrer à la maison commençait à devenir nécessaire si je ne voulais pas être ramassé au sol avec une petite cuillère. Quoi qu’il en soit, même si j’avais le sentiment d’avoir un peu gâché la chose à cause de mes petits soucis perso, la rencontre s’était très bien passée et nous sommes tous repartis avec le sourire. De mon côté, cette rencontre m’a conforté dans l’idée que je faisais quelque chose de très intéressant, car même si ce tableau n’a eu pour l’instant droit qu’à deux couches de peinture, les nuances sont déjà là et une image globale commence à bien se dessiner. Reste plus qu’à partir à la chasse des autres nuances pour que vous puissiez vous donner une meilleure idée de ce que le paysage bordelais à à vous offrir.
PS : Alors non, je ne sais pas encore quand cette quatrième partie apparaîtra. Cependant, en attendant, vous pouvez suivre les travaux d’Adrien et de Vincent via leurs comptes Twitter. Non seulement vous pourrez en apprendre un peu plus sur leurs projets, mais vous pourrez interagir avec des gens cool. Et ça, c’est cool ! D’ailleurs, dernier instant pub : vous pourrez retrouver Adrien au Bordeaux Geek Festival (Parc des Expositions) le samedi à 14h30 pour une conférence ayant pour thématique la création de studio, ce qui peut être plus qu’intéressant.
Benjamin « Red » Beziat
C’est étonnant SireRed vu que j’ai eu aussi le même problème : ne pas se préparer à l’avance avec une interview.
En tout cas, j’essaierai de prendre ces conseils en compte.