Note : juste histoire de préciser, ce n’est pas Kayane qui écrit cet article, mais Red. Je dis ça juste pour éviter que vous preniez mal la phrase qui va suivre ou qui vous ne montiez dans un ascenseur émotionnel qui ne devrait pas exister.

Si vous avez la malchance de me suivre sur Twitter, entre trois milliards de RT rigolos et ou à consonance engagée, vous m’avez probablement vu tweeter trois fois sur quatre à propos des romans que je suis en train d’écrire. Et vu que je suis totalement à fond dans ma phase de traduction des premiers volumes à des fins purement personnelles, le nombre d’articles sur le blog s’en est trouvé assez fortement réduit. Et en cela, je tenais à faire mes excuses, puisque du coup, j’ai pas mal décroché du jeu vidéo (mais rassurez-vous, ce n’est pas non plus totalement le cas et j’y reviendrai bien assez tôt, notamment avec une critique à venir demain).

Pour compenser, vu qu’il s’agit de mon 100ème article sur le blog et parce qu’il s’agit d’un sujet qui me tient pas mal à cœur, je vais commencer une nouvelle série d’articles à parution très irrégulière où je discuterai de certaines astuces de narration et d’écriture, ou bien des thématiques récurrentes que l’on trouve dans la pop culture moderne, aussi bien dans la littérature (tant qu’à faire), que le cinéma ou bien le jeu vidéo (tout tant qu’à fer).

Pour ce premier article, j’avais envie de revenir sur une technique d’écriture qui est tellement utilisée aujourd’hui qu’elle a inconsciemment (ou consciemment) été utilisée dans de nombreuses œuvres devenues des classiques modernes. Et cette technique, c’est une technique que j’aime bien appeler la technique du touriste (ou de l’amnésique, selon les circonstances).

Adventure

Kézaco ?

Alors, certes, cette technique n’est pas propre à notre époque et a déjà été utilisée il y a des siècles de cela dans des œuvres comme l’Odyssée d’Homère ou bien Bel-Ami de Guy de Maupassant, mais on l’a pas mal vue dans des œuvres comme Le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Les Annales du Disque-Monde, Le Guide du Voyageur Galactique ou bien Harry Potter pour ne citer que les plus populaires (et que j’utilise aussi dans mes livres, du coup #PubGratuite).

La technique du touriste consiste à faire découvrir au lecteur un univers qui lui est inconnu par le biais des yeux de quelqu’un qui ne le connaît pas lui-même. D’un touriste donc. Il peut s’agir d’un campagnard jamais sorti de son patelin, comme Frodon Sacquet ou Luke Skywalker, ou bien d’un gars (à priori) lambda comme Harry Potter ou Arthur Accroc (Le Guide du Voyageur Galactique), voire carrément d’un véritable touriste, comme Deuxfleurs (Les Annales du Disque-Monde).

Le principe de base est donc que cette personne ne connaît rien ou presque de « l’autre monde » qu’il va visiter et donc demandera constamment des explications à des gens qui connaissent ce monde-là et seront ainsi en mesure de faire comprendre au lecteur/spectateur les différentes règles et objets un peu bizarroïdes que l’on n’aurait pas pour habitude de voir sur notre bonne vieille Terre non magique et un peu pourrave (en comparaison).

Et même si l’histoire en elle-même en pâtira systématiquement en terme de rythme – du fait qu’il faille plus ou moins tout expliquer ou bien que le personnage principal devine les règles par lui-même ou bien en fasse les frais – elle rendra immédiatement l’univers plus accessible au lecteur, et de facto rendra l’aura de l’oeuvre bien plus universelle.

Et pour le coup, la technique du touriste permettra à beaucoup de gens d’éviter de décrocher trop rapidement de l’œuvre, car, pour pas mal de gens, passer de leur quotidien directement à un univers dont ils ne comprennent absolument rien peut être gonflant.

Harry Potter

Un exemple plus ou moins concret qui m’a fait comprendre l’importance de la technique du touriste repose chez deux œuvres du fantastique Terry Pratchett : La Face Cachée du Soleil (un de ses premiers romans) et La Huitième Couleur (premier tome des Annales du Disque-Monde). Dans le premier, la technique du touriste n’est pas du tout utilisée et dès la première page, on nous parle en des termes incompréhensibles qui ne seront toujours pas expliqués, même trente pages plus tard. Ça aurait pu passer s’il y avait des pauses dans les récit, mais ça n’aura pas été le cas et les mots extraterrestres n’ont fait que s’empiler à partir de là, au point que le résultat aura été sans appel : j’ai décroché au bout de 80 pages où j’ai désespérément tenté d’y comprendre quelque chose, mais en vain.

La Huitième Couleur, lui, utilise cette technique à la lettre en introduisant un véritable touriste dans l’histoire en plus de nous tenir la main de manière assez généreuse tout au long de l’introduction et en expliquant la majorité des choses de manière drôle et décalée. Pour le coup, on a même une double technique du touriste, puisque le lecteur lui-même est considéré comme un spectateur privilégié de l’histoire et le narrateur prend ici un véritable rôle de conteur. Vous pourrez presque entendre la voix de Terry Pratchett si vous lisez le livre à voix haute.

Dans le cadre du cinéma, Star Wars fait aussi figure de bon exemple. Car même si l’introduction de l’épisode IV est assez ronflante et nous plonge directement dans l’action, une fois que l’on arrive aux scènes avec Luke Skywalker, on plonge en territoire demi-touriste. Certes, il y a du charabia lié au monde que connaît Luke, mais sa découverte de la galaxie se fait en même temps que nous et on comprend en même temps que lui les enjeux de l’histoire et pourquoi tel camp est bon et l’autre non (et en ce sens, l’introduction ronflante est aussi un très bon moyen de nous faire ressentir les futurs troubles de Luke, puisqu’on n’y comprendra rien tant que Luke n’aura pas reçu le mémo).

zootopie 2

Idem pour Zootopie, film Disney le plus récent, où Judy Hopps découvre la ville de Zootopie en même temps que nous (et par le biais de son regard enthousiaste parvient aussi à nous enthousiasmer pour la ville… D’où le fait que Disney ait choisi moins d’un an avant sa sortie de retravailler entièrement le film pour offrir cette perspective de touriste, car à la base le film était centré sur le personnage de Nick Wilde et les retours concernant la ville étaient négatifs du fait que le personnage était déjà blasé de base).

Et c’est d’ailleurs une très bonne transition, car avoir un touriste, c’est bien, mais selon l’attitude de notre touriste, notre vision de ce monde peut aussi facilement (et parfois faussement) être influencé en bien ou en mal.

Repensons à tous nos touristes les plus populaires et à ce qu’ils ont en commun : ils sont tous jeunes. Entre dix et trente ans, suffisamment vieux pour pouvoir prendre des décisions plus ou moins censées, mais suffisamment jeunes pour avoir un point de vue assez neutre, voire enthousiaste sur le monde. Et c’est parce qu’ils sont généralement aussi inexpérimentés que les dangers du monde qu’ils vont découvrir se feront grands. Avoir un vétéran en personnage principal serait contre-productif, puisque lui connaît déjà le monde que notre héros va découvrir et ne nécessite donc pas trois milliards de pages de texte d’introduction et l’inclure ne serait-ce que d’un point de vue narrateur aurait le même effet que si on allait au cinéma pour regarder une adaptation d’un livre que l’on n’aurait pas lu, uniquement pour avoir notre meilleur pote qui lui a lu le livre se pencher vers nous et tout nous expliquer (pour avoir vécu ça avec Warcraft et une bande d’amis chinois qui expliquaient tout à une personne de leur groupe qui n’y connaissait rien et parce que le film était quand même pas mal hermétique pour les nouveaux venus, je peux dire que c’est assez frustrant).

Deux autres variantes de la technique du touriste : l’amnésie et l’école.

Cloud_Strife

Si votre personnage est un quelqu’un de puissant ayant déjà eu pas mal de vécu derrière lui, un bon subterfuge pour qu’il redécouvre le monde et nous le fasse découvrir point par point est de lui faire perdre la mémoire. Je pense ne pas avoir besoin d’élaborer plus dessus, puisque ça reste explicite, mais cette technique permet aussi de créer un mystère autour du personnage principal et ainsi développer une accroche à la fois simple et efficace, puisque sait-on jamais, peut-être qu’il est la personne responsable du chaos ambiant, ou bien peut-être un roi en exil…

La deuxième technique concerne la catégorie plus jeune des personnages, puisque l’école est un moyen assez sûr et simple pour caser un maximum de background utile à moindre frais et aussi pouvoir tout sortir d’un coup, quitte à ce que ça frôle la boulimie d’information. C’est une technique à double tranchant, puisque ce flot d’explications peut perdre le lecteur, mais, bien utilisée, elle permet un gain de temps considérable en plus d’expliquer les règles de l’univers en un minimum de temps et de potentiellement introduire tous les personnages les plus importants d’un coup.

Pour rendre l’introduction du lecteur à un univers différent du nôtre de manière un tant soit peu digeste, il existe donc pas mal de techniques différentes plus ou moins sournoises et cachées. Peut-être les aviez-vous remarquées ou bien peut-être vous ai-je gâché un peu certaines grosses ficelles utilisées par les plus grands auteurs, ce qui, dans un sens, ferait de moi un très mauvais magicien en y repensant…

Dans tous les cas, n’hésitez pas à me dire dans les commentaires ce que vous pensez de ce nouveau format. Vos retours seront plus que bienvenus.

Benjamin « Red » Beziat