Pour ce nouvel « épisode » des techniques d’écriture, j’ai décidé de puiser de ma propre expérience et de rien d’autre. Ça risque très vite de devenir cryptique et au pire je passerai pour quelqu’un de timbré, mais disons que c’est une méthode de travail sur laquelle je suis plus ou moins tombée par accident et qui s’est avérée très utile. Et elle ne repose que sur un seul truc : devenir totalement obsédé par la création de son oeuvre.

Ceux qui me suivent sur Twitter le remarquent bien assez rapidement. Un tweet que j’écris personnellement sur trois est lié aux bouquins que j’écris. En même temps, c’est plutôt normal, c’est plus ou moins ma vie en ce moment. Et, au grand dam de beaucoup, c’est un choix que j’assume pleinement, puisqu’en étant à ce point obsédé par mon oeuvre, mon esprit pense et réfléchit énormément par le biais de l’oeuvre.

Imaginez un puzzle. C’est constitué de pièces amovibles et lorsque complété, ça forme une image complète. Maintenant, imaginez que le livre est l’image complète et que chaque élément de ce livre est une pièce de ce puzzle. Ça peut être l’histoire, les personnages, les lieux, voire même ce petit élément insignifiant qui vous repérez à la page cent-treize et que vous aurez oublié à la fin du paragraphe suivant (mais que vous auriez tort d’avoir négligé, puisqu’il s’agissait en fait d’un indice important, hah !). Tous ces éléments une fois assemblés forment une image.

En temps normal, vous me direz qu’un puzzle est assez inamovible de par l’image finale qu’elle est censée former. Chaque chose a sa place et ne peut aller que là, non ? En temps normal, c’est vrai, et il serait complètement débile de vouloir mettre une pièce au mauvais endroit… Mais n’est-il pas drôle de détruire des puzzle une fois qu’on les a finis ?

Et c’est ce qui m’est plus ou moins arrivé le jour où j’ai eu ce déclic et cette analogie m’a sauté à la figure comme un facehugger bien véner.

Bill Cypher Puzzle

(Ça ou bien Bill Cypher est venu visiter mon esprit… Stupide démon…)

Pour la petite histoire, j’avais conçu le livre comme tel : un personnage nommé Lara avait un frère nommé Basil. Basil était l’aîné de Lara et était froid et calculateur suite au décès de sa mère, au point qu’il décide d’assassiner un personnage très important pour tenter de s’emparer du pouvoir, car, dans son désespoir, il a été manipulé dans l’ombre par des forces bien plus obscures. Le puzzle concernant ce point de scénario que j’avais construit avait été mis en place un bon mois avant que je ne commence à introduire ces personnages, donc techniquement, toutes les pièces étaient prêtes à être mises en place. Et, étrangement, alors que j’étais à littéralement deux paragraphes d’introduire le personnage de Basil, mon cerveau a trouvé l’image finale du puzzle pas assez intéressante et a décidé de changer de lui-même l’âge de Basil, au point qu’il était désormais bien plus jeune que Lara et l’histoire de l’assassinat a carrément été abandonnée.

Les pièces ont changé à la dernière minute, et, pourtant, l’image finale formée était non seulement cohérente, mais aussi plus belle, puisque au lieu de faire une histoire « trop sombre et mature, tavu », c’est littéralement devenu une histoire mature à propos du deuil. Et le pire, c’est qu’il ne m’a fallu qu’une petite poignée de minutes pour que cette histoire à priori totalement détruite et avec les pièces éparpillées ne soit réassemblée. Je n’ai pas eu besoin de revoir mes plans ou fulminer pendant des jours. L’histoire a continué de s’écrire comme si elle avait toujours eu pour but de ressembler à ce qu’elle était désormais devenue plutôt que ce que j’avais passé des mois à imaginer.

La raison de cette rapidité et efficacité dans les changements ? Mon obsession pour mon livre.

Gideon

Et c’est à ce point dans l’article où vous me voyez probablement comme ça… Ce qui n’est pas particulièrement faux…

Car il faut aussi savoir qu’avant d’écrire la toute première ligne du tout premier tome, j’avais passé neuf mois à créer avec délicatesse les différentes pièces de mon puzzle. En même temps que j’en créais de nouvelles, j’échangeais certaines pièces avec d’autres, voire même fusionnais deux puzzles pour en former un autre bien plus grand. Et je suis certain que sans ces neuf mois de préparation de chaque petit détail, j’aurais sûrement passé quelques jours à rager si jamais le puzzle avait décidé d’éclater au même moment qu’il ne l’a fait cette fois-ci. Or, à ce stade-là dans l’écriture, le nombre de pièces de base était tellement immense et l’image tellement vaste que ce n’était pas si grave si deux-trois éléments venaient à changer sur le moment. Je peux changer n’importe quel élément et même en introduire à postériori, des mois après avoir écrit les chapitres, au point que les ajustements à faire après sont absolument minimes. Pas plus tard qu’en Mai, j’ai créé un personnage pour le tome 4 de ma série, et ai décidé de l’inclure dans les premiers tomes, histoire qu’il n’arrive pas comme un cheveu dans la soupe et semble apparaître de nulle part (coucou Golden Sun 3). Tout ce qu’il m’a fallu, c’est juste modifier quatre ou cinq paragraphes à des endroits stratégiques que j’ai mentalement repéré et ça n’a créé aucune incohérence.

C’est d’ailleurs aussi un conseil que je vais donner aux auteurs : si vous comptez écrire une saga à la Harry Potter ou quoi et que vous avez le temps, écrivez-en un maximum de tomes le plus vite possible avant de le soumettre à un éditeur, parce que si une idée de scénario importante vous frappe le coin du pif alors que les deux premiers tomes sont déjà publiés, soit vous risquerez de l’introduire maladroitement en risquant de créer des incohérences monstrueuses dans le récit, soit vous allez juste devoir abandonner l’idée parce que vous regretterez de ne pas avoir pu le teaser plus tôt (et même si pour le coup, ça m’embête de ne pas encore avoir pu publier le début de ma série, bah c’est aussi pour cette raison en particulier que je me considère chanceux de ne pas l’avoir fait… Même si je sens que les éditeurs vont hurler en voyant un gros bonhomme débarquer avec trois volumes déjà prêts et encore au moins deux ou trois en attente… Sans compter les spin-offs… Hum).

Harry Potter

Et vous finirez comme ça.

En bref, la technique du puzzle est une technique bien utile, car elle permet de créer une histoire cohérente aux éléments facilement interchangeables et donne une place assez importante à l’improvisation contrôlée (chose qu’il vaut mieux éviter si l’on veut écrire une histoire sans aucun travail préparatoire, car c’est juste un coup à inconsciemment recopier les autres et tomber dans des clichés assez ignobles), mais elle est aussi à double-tranchant : elle va accaparer énormément de place dans votre esprit et vous risquez de gonfler pas mal de vos amis à force de penser à votre livre. Dans tous les cas, l’important est aussi de veiller à ce que cette obsession ne détruise pas votre vie sociale et sentimentale (ce qui ne m’est pas arrivé, heureusement, mais bon, certains artistes peuvent facilement se perdre dans leur art et ça peut très mal finir).

La prochaine fois, je reviendrai sur le nombre de personnages et les conséquences que ça peut avoir sur votre santé mentale, car bons dieux, ça peut vite devenir le bazar ♪

Benjamin « Red » Beziat