Pour beaucoup d’entre vous, ce 1er Juillet n’a probablement pas grand chose de particulier. Alors peut-être que pour certains c’est votre anniversaire (auquel cas, joyeux anniversaire), mais pour moi ce jour revêt un aspect plus que particulier, puisqu’il marque le cinquième anniversaire d’un jeu relativement méconnu, mais ô combien important.

Tout le monde a au moins un jeu qui l’a marqué pour des raisons personnelles, qu’il s’agisse tout simplement de leur premier jeu, d’un jeu ayant eu des scènes tellement marquantes qu’ils y repenseront régulièrement, d’un jeu qui leur a permis de rencontrer la personne qu’ils aiment ou bien d’un jeu leur ayant permis de mieux comprendre et d’accepter la mort d’une personne qu’ils ont connu en vrai. En ce qui me concerne, le jeu dont je vais parler aujourd’hui a lancé ma carrière à la fois de bloggeur, mais aussi de romancier, car je le trouvais tellement important et impressionnant à l’époque qu’il m’a fait prendre des décisions assez stupides quand j’y repense, mais qui font que, cinq ans plus tard, j’écris cet article sur le site d’une amie que je n’aurais pas connu si je ne m’étais pas mis en tête de parler de jeu vidéo juste pour “promouvoir” à fond un jeu qui avait tout pour tomber dans l’oubli la semaine suivant sa sortie. Et ce jeu, c’est Solatorobo – Red The Hunter, sorti en Europe le 1er Juillet 2011 sur Nintendo DS.

Mais avant de spécifier pourquoi ce jeu était assez exceptionnel aussi bien d’un point de vue jeu que d’un point de vue personnel, il est nécessaire de le replacer dans son contexte, car rien que son Histoire est fascinante.

Avant la sortie

Il faut avant tout savoir que ce jeu a bien failli ne pas sortir du tout. Et si ce n’était pas pour la volonté de fer de Hiroshi Matsuyama (président de CyberConnect2), ce petit projet fait par pure passion serait juste resté à l’état de brouillon. Car, et c’est là le plus impressionnant, le jeu est resté pas loin de huit ans dans un coin de la tête de son créateur et n’est sorti que dix ans après le premier refus de pitch de la part de Namco !

Car à la base, Solatorobo n’était que la suite de Tail Concerto, le tout premier jeu de Cyberconnect sorti en 1998 sur PlayStation et étant un gloubi-boulga de tout ce que Hayao Miyazaki a fait de sa carrière et pourrait être considéré comme un jeu non-officiel du studio Ghibli (et sorti environ huit mois avant Jade Coccoon, RPG de la PlayStation sur lequel avaient bossé quelques membres du studio d’animation, et douze ans avant Ni No Kuni). Véhicules volants de tous les films de Miyazaki ever ? Check ! Animaux anthropomorphes façon Sherlock Holmes fait en collab’ avec Miyazaki ? Check ! Îles flottantes de Laputa ? Checkly-doodle ! Gros titan dormant dans les tréfonds de la terre et possiblement réveillé par un méchant totalement inconscient de ce qu’il fait façon Nausicäa de la Vallée du Vent ? Check check check (check yo boogeh ♪) !

Tail Concerto

Bref, on aurait aisément pu penser que Tail Concerto était un gros plagiat de tout ce qu’avait fait tonton Miyazaki et le jeu s’est légèrement ramassé en termes de ventes. En même temps, il faut dire qu’il est loin d’être exceptionnel, car la caméra est à la ramasse, la maniabilité est parfois immonde et le jeu se boucle en à peine quatre heures. Ceci dit, là où ça devient assez drôle, c’est le fait que la version européenne du jeu est intégralement doublée en japonais, en faisant un des premiers à fermement garder ses racines (même si les dialogues doublés hors cutscenes animées ont été coupées, parce que bon, fallait pas pousser non plus). Au final, Tail Concerto n’est peut-être pas le jeu parfait, mais tous ceux qui y ont joué à l’époque en gardent des souvenirs généralement assez agréables pour la simple et bonne raison qu’il a une âme. On sent le travail de passionnés derrière, on est emportés par son univers et on fait globalement pas gaffe à ses défauts. Certes, aujourd’hui ses défauts sautent à la figure et les graphismes PS1 absolument immondes n’aideront pas, mais pour y avoir joué il y a six ans en vue de me préparer pour sa suite, je l’ai trouvé assez agréable à jouer (à l’exception de son dernier quart, qui enchaîne les séquences de plateformes reloues).

Du coup, malgré le mini-four, CyberConnect tente de pitcher une suite à Namco deux ans plus tard pour la PlayStation 2. Bien évidemment, au vu des ventes plus que moyennes, l’éditeur est assez froid à cette idée et donc la refuse. Mais c’est sans compter sur l’acharnement de Hiroshi Matsuyama, qui va quand même tenter de faire du forcing pour prolonger les aventures de Waffle en proposant deux nouvelles fois le pitch à quelques mois d’intervalle. Refus et rerefus. Dépité, le président du désormais renommé CyberConnect2 décide de se focaliser sur d’autres projets, notamment la série des dot.hack, qui connaîtra également un succès d’estime, mais dont les ventes resteront suffisamment importantes pour garantir moult suites et projets dérivés.

Et puis vient le jackpot lorsque le studio se voit confier la licence Naruto par Namco Bandai, qui aura eu le nez creux en la filant à un studio de passionnés d’anime, puisque les jeux sont fait avec un véritable respect de la série de Masashi Kishimoto. Ainsi, les ventes suivent et le studio enchaîne à fond le développement des épisodes, avant de carrément exploser avec le très impressionnant Naruto Ultimate Ninja Storm. La suite, on la connaît : le studio se taille une réputation de gros bill et commence à se noyer dans l’argent en plus de se faire anoblir par Namco Bandai, qui le considère comme sa poule aux oeufs d’or.

Tail Concerto

Et c’est justement fort de cette réputation que quelqu’un s’est dit : “Hey, mais maintenant que j’ai carte blanche… Je peux faire tout ce que je veux !” Et donc la suite de Tail Concerto est remise sur le tapis, même si, parce que Tail Concerto se fait vieux et que les idées sont rarement immuables, une poignée de gens dans le studio a passé son temps à étendre son univers en secret dans l’espoir qu’un jour peut-être le projet serait validé.

Nouveau héros, nouvelle contrée et nouvelle histoire. Le projet est validé… Mais à la seule condition que le jeu ne prenne pas énormément de ressources et sorte sur Nintendo DS, “parce que bon, les projets passion, c’est bien cool, mais c’est pas Naruto, hein !” On peut imaginer Hiroshi Matsuyama quelque peu ennuyé, mais comme l’a dit un certain interprète d’un certain arnaqueur professionnel : “C’est mieux que rien.”

S’en suit donc un assez long chantier sur le projet “SolaRobo”, soit “CielRobot”, qui… Résume assez bien la situation, puisque le jeu se déroule dans des îles flottant dans le ciel et il y a des robots. Le jeu sera renommé un peu plus tard “Sola to robo : Sore Kara Coda e”. Ici, il n’est nullement question de seulement rendre hommage à Hayao Miyazaki, mais aussi aux anime en général, et plus particulièrement le genre du Shônen, ainsi qu’à la science-fiction, car le jeu possède un secret que je ne peux pas spoiler, mais il en découle d’une volonté de faire passer un message des plus surprenants et matures, bien loin de la vision naïve et idéaliste de Tail Concerto. L’équipe sur le jeu retient ses trois principaux acteurs : Hiroshi Matsuyama à la supervision, Chikayo Fukuda à la musique et Nobuteru Yûki au character design. Nobuteru Yûki, qui en plus d’être reconnu mondialement pour son travail sur Les Chroniques de la Guerre de Lodoss, a aussi signé nombre d’artworks ici et là, y compris Chrono Cross. Bref, comme dirait Red : « la classe ! »

Le jeu

Solatorobo – Red the Hunter est un jeu d’action-aventure avec une petite dose de RPG mettant en scène Red Savarin, un “Chasseur”, a.k.a un mercenaire qui va accomplir tout un tas de petits boulots pour gagner de l’argent, sans vraiment se soucier des conséquences qu’auront sa mission sur la géopolitique de l’archipel de Shepherd.

Solatorobo Artwork 2

Un beau jour, on demande à ce jeune Caninu de voler un médaillon dans un dirigeable nommé Hindenburg (har har… Google it), mais rien ne se passe comme prévu, puisque au moment où Red pose sa patte sur le médaillon, l’artefact se réveille, causant l’apparition d’un monstre géant nommé le Lares, qui attaque et manque de détruire le cargo. Sur le chemin de la sortie, Red tombe sur un mystérieux Félineko inconscient qu’il sauve des flammes. Il s’avère que ce mystérieux personnage en avait aussi après le médaillon et propose à Red un contrat avec à la clé énormément d’argent, à la condition qu’il ne lâche jamais le médaillon. Pourquoi ? Comment ? Et pourquoi est-ce que tout le monde en a après cet artefact ? On le saura au fil d’une intrigue rappelant vaguement Tail Concerto, puisque la première partie du récit en est un demi-remake qui ne s’assume pas, avec beaucoup plus de dialogue et un ton beaucoup plus sérieux. Sans non plus gâcher le twist, une des choses les plus surprenantes à propos du jeu est donc qu’il y a deux jeux en un, avec la première partie servant de vague remake, tandis que la seconde se transforme en sa propre suite, avec des enjeux beaucoup plus importants et un ton beaucoup plus mature.

Et c’est là toute la force de Solatorobo : son univers et son écriture. Car même si ça reste globalement assez simple, il existe beaucoup de sous-entendus parfois assez dérangeants en plus de proposer une Aventure avec un grand A qui nous transportera d’île en île, à la rencontre de personnages tous plus maboules et attachants les uns que les autres, sans compter une toute dernière ligne dans son épilogue capable de retourner le cerveau et nous faire réfléchir toute une après-midi sur le fait que ce que l’on vient de lire était ce que l’on croyait que c’était ou non.

Niveau gameplay, en revanche… Ce n’est pas vraiment ça, je dois admettre. Le combat ne repose quasiment que sur le fait que l’on puisse attraper et balancer nos ennemis sur le décor ou sur les autres… Et c’est à peu près tout. On peut descendre de notre robot pour atteindre des zones qui ne nous sont pas accessibles autrement et où l’on est beaucoup plus vulnérable, mais le jeu n’est jamais suffisamment compliqué et reste même frileux par endroits, car on sent le potentiel du combat de robots, mais il n’est jamais totalement exploité à fond. Non pas non plus que ce soit mauvais, mais ça reste toujours simple. Les boss ceci dit, se renouvellent un minimum, mais jamais trop.

Solatorobo Artwork 3

En revanche, les situations, elles sont toujours différentes et les mini-jeux cassent la monotonie, qu’il s’agisse des phases de vol rappelant celles de Tail Concerto, des courses de robots ou bien du mini-jeu de pêche le plus débile et génial de l’histoire du jeu vidéo. Sans ces distractions, nul doute que le jeu en aurait pâti, puisque le seul autre élément capable de nous retenir aurait été l’écriture, puisque presque chaque quête possède ses personnages uniques et charmants en plus de lignes de dialogue parfois très drôles. Autrement dit, Solatorobo est plus un jeu à histoire qu’un jeu à gameplay… Un peu comme tous les jeux de CyberConnect2, en y repensant.

Le petit détail qui m’attriste le plus, ceci dit, ça reste le fait que le jeu n’ait disposé que d’un petit budget, car le contenu coupé se sent et on sent aussi qu’ils ont du travailler avec trois bouts de bois : les décors fixes dessinés à la main sont sublimes, mais les sprites 2D qui les peuplent ressemblent juste à de la bouillie. Les modèles 3D sont heureusement assez travaillés pour la Nintendo DS. Et le nombre d’îles à visiter reste assez faible, tous n’étant qu’une succession d’une vingtaine de tableaux maximum. Et c’est sans compter sur le “lore” du jeu, qui est absolument monstrueux… Mais qui ne figure pas dans le jeu ! Juste à titre d’indication, Solatorobo possède 3 artbooks de 300 pages chaque pour détailler l’univers, 100 publicités expliquant chacune un élément de background et une foule de romans indiquant la backstory de personnages pourtant cruciaux à la compréhension du jeu, mais n’ayant jamais été traduits et ne sont que vaguement évoqués dans le jeu lui-même. Avec un peu plus de temps et de budget, on aurait pu avoir tout ça sur notre cartouche, mais il faut se contenter d’une oeuvre incomplète. Certes, elle reste très cohérente et peut s’apprécier d’elle-même, mais n’est au final focalisée que sur une poignée de personnages là où, complète, on aurait facilement pu se passionner pour le double… Enfin, c’est aussi le défaut des univers transmédia, en y repensant… Hum.

L’impact

Solatorobo – Red the Hunter est donc sorti fin 2010 au Japon et y a connu un succès plus que mitigé, car malgré la communication intensive, la Nintendo DS était déjà en fin de vie et le manque de budget injecté dans le projet laissait entrevoir un jeu fait avec trois bouts de ficelle, chose qui rime rarement avec succès commercial. À sa sortie en Europe, les choses étaient déjà un peu meilleures, puisque le jeu a été publié par Nintendo of Europe eux-mêmes, bénéficiant ainsi d’une campagne de comm’ un minimum poussée (même si ils spoilaient noir sur blanc le gros twist qui n’apparaît pourtant que durant le dernier quart du jeu) et même d’un stand à Japan Expo, où étaient invités Hiroshi Matsuyama et Nobuteru Yûki avec même une mini-exposition consacrée aux artworks du jeu. Nintendo y croyait un minimum, mais pas non plus au point d’être fou, puisqu’ils n’avaient édité le jeu qu’à un nombre relativement restreint d’exemplaires.

Les critiques étaient plus que positives, avec notamment un 18/20 sur Jeuxvideo.com et un 7/10 sur Gamekult (ce qui revient grosso modo à un 9/10 sur tous les autres sites du monde ♪).

Solatorobo Artwork 4

Et, personnellement, je me souviens avoir écrit deux critiques différentes et toutes faisant entre 5 et 10 pages, puisque j’étais volontairement devenu rédacteur sur ces sites pour parler en long, en large et en travers de ce jeu, spammant article sur article, au point que littéralement un article sur deux que j’écrivais était consacré de près ou de loin à Solatorobo. J’avais développé une véritable obsession sur ce titre dès le jour de son annonce, car absolument tout dedans me parlait. La Château dans le Ciel est mon film préféré (de tous les temps), donc voir un jeu avec des îles flottantes, des robots et un véritable sens de l’aventure m’a direct pris aux tripes. Je voulais que ce jeu sorte chez nous, au point que j’avais envoyé un mail avec un plan marketing précis à Nintendo France quelques mois avant son annonce ici (et qui pour le coup a été respecté à la lettre… Coïncidence ou non, je ne le saurai jamais, pour le coup). Et, deux ans après que le jeu soit sorti, il m’est venu l’idée d’écrire un roman. Je ne vais pas en parler ici, ce n’est pas le but, mais les circonstances du développement de Solatorobo ont fait que j’ai volontairement attendu neuf mois avant de poser la première ligne sur le fichier Word.

Car comme dit plus tôt, même si le projet Tail Concerto 2 était resté caché dans les archives de CyberConnect2 pendant des années, certaines personnes du studio ont décidé de bosser sur l’univers durant leur temps libre pour ainsi avoir un maximum de détails de prêt pour le jour où ils auraient enfin le feu vert. Et les détails étaient tellement poussés qu’ils avaient même poussé le vice jusqu’à imaginer leur style de vie jusque dans éléments assez étranges. Ce côté presque maniaque dans le “world-building” m’a fait dire que si jamais je devais créer un univers et une histoire qui marque un minimum les esprits, il me faudrait atteindre au moins le niveau de ces créatifs, ce qui a fait que j’avais passé neuf mois assez intenses à réfléchir au moindre détail concernant l’univers de mon roman au lieu de directement me lancer et d’improviser des trucs comme le font certains auteurs, quitte à ce que la cohérence passe à la trappe. Au final, beaucoup de ce que j’avais imaginé de l’histoire est passé à la trappe de manière assez comique (mais ça sera une histoire pour un autre temps et un autre site), mais le côté maniaque de CyberConnect2 avait déteint sur moi, au point que le puzzle mental créé dans ma tête autour de mon univers était devenu aussi solide qu’une forteresse et où chaque pièce se révélant inappropriée pouvait être modifiée sans qu’aucun effort n’ait été à faire pour rendre le reste de nouveau cohérent.

Au final, sans Solatorobo, jamais je n’aurais eu l’idée de devenir bloggeur dans le secteur du jeu vidéo. Sans l’abnégation de Hiroshi Matsuyama et le sens du détail de ses employés je n’aurais jamais écrit un roman avec un univers aussi détaillé. Peut-être aurais-je eu une vie “normale”, avec un travail “normal” et un équilibre financier beaucoup plus stable qu’il ne l’est actuellement… Mais j’en sais rien, et je m’en fiche un peu, puisque malgré tout je suis heureux avec ce que je suis maintenant.

Bref, sans Solatorobo, il y a de très grandes chances que je ne sois pas l’homme que je suis aujourd’hui. Et c’est en cela que je suis plus que reconnaissant envers CyberConnect2 pour avoir créé ce jeu, Namco Bandai pour avoir pris le risque de l’éditer malgré toute forme de bon sens commercial, et Nintendo of Europe pour l’avoir traduit, sans quoi j’aurais très certainement du me contenter d’une cartouche japonaise où je n’aurais pas compris un traître mot.

Benjamin “Red (not the Hunter)” Beziat

PS : n’hésitez pas à mettre en commentaire les jeux qui ont influencé votre vie d’une manière ou d’une autre, puisque c’est typiquement le genre d’histoire que j’adore lire ♪

PS 2 : Si toi aussi tu as lu cet article et que tu bosses chez Namco Bandai ou CyberConnect, n’hésites par à tout faire pour (re)lancer le développement de Strelka Stories ou d’un “Little Tail” 3. Merci.