Kayane : Je me demandais ce que vous pensiez de l’état de DOA 5 aujourd’hui. En êtes-vous satisfait ? Est-ce que vous le considérez comme un succès ?

Yohei Shimbori : Jusqu’à DOA 4, la série était produite par quelqu’un d’autre. Avant DOA 5, la série était restée dormante pendant un bon bout de temps. Et de cette licence dormante, j’ai fait quelques petits jeux. On a ensuite sorti DOA 5, puis sa version et on a réussi à franchir le cap des 10 millions d’utilisateurs, donc oui, je considère ça comme un assez gros succès !

K. : Street Fighter V a tenté un modèle de jeu payant mais avec la possibilité de débloquer des personnages grâce à la monnaie du jeu. Mais ce système n’était pas suffisamment au point pour rendre cela viable et il fallait quand même mettre de son propre argent pour acheter les DLC au final même si on jouait beaucoup. L’aspect Free To Play de ce jeu était donc plutôt un échec. Mais qu’en est il de DOA 5 et de son Free to Play ? Vous pensez qu’il s’agit d’un modèle viable pour les jeux de combat?

Y. S. : Vous avez en effet mentionné Street Fighter V, mais, personnellement, je ne le considère pas comme un free-to-play, car il faut d’abord acheter le jeu pour accéder au contenus censés être gratuits. Notre conception du free-to-play est que les joueurs sans argent peuvent jouer au jeu malgré tout sans avoir à dépenser ne serait-ce qu’un yen ou euro. Voilà la grosse différence.

Pour vous donner ma réponse à la question, la version free-to-play de DOA 5 a remporté son succès. Mais pour être parfaitement honnête, nous savons que DOA ne se vendra probablement jamais autant qu’un Tekken ou un Street Fighter. Eux peuvent vendre trois à quatre millions d’exemplaires là où nous nous réjouissons si nous pouvons déjà atteindre le million. Il faut trouver un autre angle d’attaque et approcher le marché différemment pour réussi et nous avons vu du potentiel dans le modèle free-to-play, par exemple. L’une des plus grandes forces de DOA, c’est bien dans ses personnages. Mais pas que, car il y a aussi leur façon de s’habiller. Avec le modèle free-to-play, nous étions en mesure d’exploiter ce filon sans compromettre l’expérience de jeu et c’est pour ça que cette version a eu le succès qu’elle a eu.

K. : Vous pensez appliquer ce modèle à DOA 6 dans un futur plus ou moins proche ?

Y. S. :Nous envisageons de la rendre internationale, oui ! En fait, nous l’avons confirmé chez nous au Tokyo Game Show, mais cette version est encore en développement, donc il faut attendre qu’elle soit prête pour que l’on puisse en parler plus en détails.

K. : Oh c’est cool, ça !

Y. S. : Nous sortirons d’abord la version physique, puis après nous communiquerons sur la version free-to-play. La fenêtre d’annonce n’a pas encore clairement été définie, donc nous ne savons pas encore si nous en parlerons peu de temps avant sa sortie, soit carrément le jour de sa sortie. On en discute encore en interne.

K. : Et donc cette version free-to-play ressemblera à quoi ? On aura le droit à deux personnages gratuits par semaine ou bien… ?

Y. S. : C’est en cours de discussions. Nous travaillons encore sur la version Steam du jeu, donc nous mettons la priorité sur ça avant de nous attaquer à la version free-to-play.

K. : DOA 5 était disponible sur Steam et ce n’est que depuis récemment que les jeux de combat sortent en même temps sur PC et consoles. Le genre n’était au départ que centré sur l’arcade, puis les consoles, mais maintenant les joueurs PC peuvent aussi s’y mettre. Que pensez-vous de la communauté PC ? Vous aviez beaucoup de joueurs sur la version PC de DOA 5 ?

Y. S. : Le jeu s’est vraiment bien vendu sur PC ! Les temps sont en train de changer, au point que les développeurs de jeux de combat ne peuvent plus les ignorer.

K. : Les joueurs étaient plutôt tristes de ne pas pouvoir jouer à la bêta du 6 sur PC.

Y. S. : Oooooooh. Eh bien le souci, c’était que si la bêta était sortie sur PC, les gens auraient eu beaucoup trop facilement accès aux fichiers du jeu et auraient craqué le code, d’où le fait qu’on ne l’a pas sortie.

K. :Vous ne vouliez pas prendre de risques. Je comprends.

Et donc vous pensez faire un season pass, comme le font Tekken 7 et Street Fighter 5 ? Eux les annoncent durant des événements majeurs, comme le Tekken World Tour et le Capcom Pro Tour. Pensez-vous faire quelque chose similaire avec DOA ?

Y. S. : On ne va pas faire comme Capcom, mais on pense bien faire quelque chose de similaire à notre façon. Vu que Tekken et Street Fighter sont les rois du marché du jeu de combat et que DOA est plus une sorte de challenger, on ne peut remporter la couronne en faisant exactement ce qu’ils font. On ne peut pas les copier. Il faut que l’on trouve notre propre solution. Une approche qui aie l’air plus cool et qui attirera les joueurs, ceux qui pourront nous faire rattraper les rois.

K. : En apportant quelque chose…

Y. S. : D’encore plus cool !

*rires*

Y. S. : Oui, c’était plutôt présomptueux de ma part, mais ce qu’il faut retenir, c’est que l’on ne peut pas copier ce qui se fait déjà et espérer s’accaparer leur succès. Il faut que l’on trouve notre façon de faire.

K. : J’ai vu que vous aviez inclus un mode Esport. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Y. S. : Dans les compétitions d’Esport, si vous mettez le jeu en pause, vous êtes automatiquement disqualifié.Nous avons donc choisi dans ce mode de désactiver le bouton de pause pour éviter ce genre d’incidents et il vous faudra vraiment insister si vous voulez mettre le jeu en pause. Voilà la première chose. Pour les prochaines features, nous analyserons les données une fois le jeu sorti pour voir ce dont ce mode a réellement besoin et en quoi cela le différencierait de matchs en privé.

K. : Je me demandais si les interactions avec les environnements pourraient et devraient rester dans le mode Esport.

Y. S. : Les interactions avec les environnements font partie de l’ADN de DOA et je pense qu’il s’agit d’un élément de gameplay dont les meilleurs joueurs peuvent tirer partie pour gagner l’avantage. Je suis contre l’idée de les enlever, même en milieu compétitif. Après, certains terrains n’ont aucun élément interactif, donc les arbitres peuvent utiliser uniquement ceux-là pour des tournois s’ils le désirent, mais personnellement je préfèrerais qu’aucun terrain ne soit laissé de côté. Les tournois gagneraient en variété et ça rendrait les matchs plus fun à regarder pour les spectateurs. Ça les rendrait plus spectaculaires.

K. : Avez-vous prévu d’organiser vous-mêmes des tournois à l’avenir ? DOA était une des plus grosses séries de jeux de combat de la scène e-sports il y a dix-quinze ans, étant la tête d’affiche de tournois comme le World Cyber Games ou même la Championship Gaming Series. Il y avait même des sponsors et des cash prize, ce qui était très rare à l’époque ! Presque seuls les joueurs de DOA les plus talentueux pouvaient en vivre grâce aux sponsors.

Y. S. : Il nous faudrait travailler avec les ligues, parce que travailler là-dessus de notre côté pourrait prendre beaucoup trop de temps en plus d’être compliqué. Un de nos employés était un grand joueur d’Esport à l’époque et il est en pleines négociations avec les ligues. Il adorerait revoir DOA sur le devant de la scène et nous attendons avec beaucoup d’espoir de voir comment tout ça va se développer.

K. : C’est vraiment cool de voir que vous pensez déjà à la scène e-sports ! Donc j’imagine que vous pensez déjà à l’idée de revoir l’équilibrage du jeu si jamais la communauté découvre des petits soucis à l’avenir ?

Y. S. : Oui, en effet ! Si les joueurs tombent sur un problème, nous nous en chargerons aussi vite que possible. Cependant, recevoir les bons feedbacks de la communauté va prendre un peu de temps, car elle ne connaît pas encore toutes les features du jeu. Mais si jamais ils trouvent le jeu déséquilibré, il est clair que nous ferons tout pour corriger le tir. Cela étant dit, ça ne concernera que les choses véritablement déséquilibrées et non juste les plaintes à propos de choses qui peuvent être contrées ou bien que les joueurs n’ont pas encore pleinement compris. Trouver les bons feedback n’est pas chose aisée. C’est un travail d’enquête permanent !

K. : Même si c’est génial que les équipes de développement et les producteurs écoutent  leur communauté, il peut être assez difficile de faire le tri entre les feedbacks les plus pertinents et ceux qui le sont moins. Et je pense que ça peut être une erreur de se reposer principalement sur les retours que l’on trouve sur Internet. Certains de ces joueurs se plaignent de choses sans forcément avoir envie de suffisamment s’entraîner pour trouver la solution à leurs problèmes par eux-mêmes.

Pour vous donner un exemple récent de mécontentement de la communauté, les développeurs de Soul Calibur VI ont équilibré le jeu en fonction de l’Online. Si une attaque est trop difficile à bloquer ou bien esquiver en ligne, les développeurs l’auraient nerfé avec un patch pour rendre les joueurs Online heureux. Plus spécifiquement, le crouch throw de Nightmare/Siegfried permettait de faire des Ring Out, mais plus maintenant parce que beaucoup trop de joueurs en ligne incapable de faire des tech throw s’en sont plaint. Le truc, c’est que cette spécificité existe depuis pas loin de vingt ans et les joueurs offline ne s’en étaient jamais plaint. Ça faisait partie de l’identité du personnage. Le tollé a été assez immense auprès de pas mal de compétiteurs offline, remontés à l’idée que les développeurs ont écouté des joueurs qui n’ont simplement pas pris la peine d’apprendre comment contrer des attaques qui pouvaient clairement être évitées.

Y. S. : Nous serons très à l’écoute des joueurs aussi bien online que des joueurs pro, même si on sait d’avance que même eux mettront un peu de temps pour tout comprendre du jeu. Bien sûr, nous mènerons toujours des enquêtes approfondies avant de changer quoi que ce soit en dehors des gros bugs dont tout le monde se plaindrait.

K. : Je vois. Je voulais juste vous prévenir à propos des patchs liés aux plaintes des gens en ligne, car il ne s’agit pas toujours des plaintes les plus pertinentes.

Y. S. : Ah, merci !

Dead-or-Alive-6

K. : Et j’ai vu que vous aviez embauché Master ! Comment est-ce que c’est arrivé et qu’est-ce que ça fait de travailler avec un membre de la communauté ?

Y. S. : Koei Tecmo est une structure très spéciale au Japon, mais n’est pas bien grande à un niveau international. Et si vous voulez vraiment faire votre trou dans le milieu du jeu de combat, il vous faut aussi une assez grosse structure en Amérique du Nord, ce que l’on n’a pas, malheureusement. Ce qu’il nous fallait, c’était quelqu’un capable de parler facilement aux joueurs pros en plus des ligues. Quelqu’un qui s’y connaisse, d’où le fait que l’on aie embauché Master. Nous sommes très heureux de l’avoir dans l’équipe et avons hâte de voir où cette collaboration va nous mener.

K. : C’est une excellente idée ! J’ai beaucoup Master ! (…) Nous avons vu le roster complet et presque tout le monde est là, mais où sont Ein et Leon ?

Y. S. : Nous avons conçu le mode histoire et n’avons inclus dans le jeu que tous les personnages qui pouvaient figurer dans l’histoire.

K. : Mais pourquoi avoir évincé ces deux-là ? Presque tout le monde est là !

Y. S. : Vous en avez oublié un autre. Gen Fu.

K. : Oh, je l’avais totalement oublié, celui-là.

*rires*

Y. S. : Eliot va apprendre les techniques de Gen Fu lors du mode histoire, d’où le fait qu’il ne soit pas là. Pour ce qui est de Leon, son combat est terminé, donc il n’apparaît que comme un figurant ici. Personnellement, j’aurais aimé le voir se battre, mais, trois petits points…

K. : En DLC ?

Y. S. : Peut-être ? Peut-être pas ?

K. : Ein a cette personnalité et ce style de combat si particuliers et je ne pense pas que Hitomi a tout ce qu’avait Ein.

Y. S. : Eh bien quand vous verrez l’histoire, vous comprendrez pourquoi Ein ne pouvait pas être là et pourquoi Hayate a pris sa place. D’un point de vue histoire, ça n’était pas logique d’avoir les deux.

K. : Donc peut-être en DLC ?

Y. S. : Peut-être ?

K. : Mais certains personnages n’ont pas besoin d’être dans l’histoire, si ?

Y. S. : On ne sait jamais. C’est difficile à justifier, en fait. Si l’on était dans un autre monde, on pourrait voir Hayate s’entraîner avec Ein, mais ça n’était pas possible dans le mode histoire. Pour l’instant, vous n’aurez que les personnages qui apparaissent dans ce mode. On réfléchit toujours à l’inclusion de nouveaux personnages via des DLC, mais rien n’est encore clairement défini.

K. : Et pourquoi pas un season pass ?

Y. S. : Il y aura probablement un season pass plus tard. Potentiellement.

K. : D’ailleurs, c’est drôle mais avec Mortal Kombat XI récemment annoncé, le roster final est bien loin d’être dévoilé mais il y a déjà des détails sur le Season Pass ! Pour moi, ce n’est pas vraiment logique !

Y. S. : Le truc, c’est que Team Ninja n’est pas si grand que ça. Nous faisons ce que nous pouvons avec ce que nous avons et donc nous ne pouvons annoncer un season pass avec du contenu qui nous est nous-même inconnu. On construit le jeu en temps réel et on le sort dès qu’il est prêt ! Par exemple, avec Tekken 7, ils ont très vite annoncé Noctis de Final Fantasy XV, mais il s’est écoulé pas mal de temps avant qu’il ne soit véritablement disponible. Je ne sais pas comment, ou pourquoi l’équipe de Tekken l’a annoncé si vite, mais ils le pouvaient. Nous, nous finissons d’abord ce que l’on a commencé, puis on fera des annonces basées sur des choses que l’on aura décidé après coup.

K : Et donc je voulais aborder un dernier sujet à propos d’une interview où un journaliste n’avait pas compris ce que vous vouliez dire et a accidentellement créé une controverse.

Y. S. : Oh. Je vois. Dans une interview qui a été publiée, on m’a fait dire que le jeu serait moins sexy pour plus plaire aux joueuses. Cela est totalement faux, car on sait parfaitement que la plupart des joueuses fans de DOA aiment jouer des femmes tout aussi fortes que sexy.

K : C’est mon cas !

Y. S. : Merci ! Et donc oui,il y a eu méprise quant à une sorte de censure ou quoi. Il a aussi été dit que Sony nous avait censuré pour la version PS4, ce qui est tout aussi faux. Toutes les versions de DOA 6 seront identiques.

Et pour en revenir au côté sexy du jeu, DOA 6 se place au même niveau que DOA 5, même si on pourra faire des ajustements si nécessaires. Nous prendrons en compte les feedbacks de la communauté pour patcher le jeu et le rendre plus ou moins… Excessif, si besoin. La détérioration des costumes, notamment, que l’on peut ajuster assez facilement. Ce que je veux dire, c’est que nous ne nous sommes pas censurés et sommes restés au même niveau que DOA 5, mais on laisse la porte ouverte aux changements si jamais la communauté a quelque chose à dire là-dessus. S’il vous plaît, croyez en nous !

K. : Je crois en vous !

Y.S. : Merci !

Kayane Yohei Shimbori

(Traduit de l’anglais par Benjamin Beziat)