Une semaine sans controverse est une semaine inutile, selon Internet, et la controverse de la semaine concerne directement les critiques/blogueurs/journalistes spécialisés dans le jeu vidéo, puisque Bethesda a annoncé cette semaine qu’ils ne distribueront des versions presse de leurs jeux désormais qu’à la veille de la sortie. Et ça, ça ne fait pas plaisir du tout à la profession, qui se sent en grande partie insultée, d’autant plus que le communiqué est tourné d’une telle manière que l’on passe uniquement pour des profiteurs, faisant fi de l’utilité de notre job.

Je mets ce morceau en fond juste parce que j’avais envie de le caser et vous le faire écouter.

Histoire que vous ayez un peu de contexte quant à ma position : j’ai la « chance » de ne dépendre quasiment que de la boîte s’occupant des jeux de Nintendo (et quelques indés). Certains diront que ce n’est pas terrible, puisque du coup, je ne peux vous offrir mon avis sur les gros jeux sortant sur les autres consoles et les jeux tiers sortant sur Wii U/Nintendo 3DS (d’où le fait qu’il n’y aie pas eu de critiques sur Battlefield 1/Gears of War 4/Abzû/le line-up du PS VR/etc), mais le gros avantage, c’est que j’ai largement le temps de jouer aux jeux qui me sont donnés à tester, et le temps, c’est une des ressources les plus prisées par les journalistes et blogueurs, car qui dit plus de temps pour faire les choses dit rendement final de meilleure qualité. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis plus que content d’écrire pour ce blog, puisque je n’ai aucun impératif. Les seuls qui sont fixés le sont par moi-même. Je considère qu’il est de mon devoir de vous fournir des articles pertinents ou drôles et je respecte les éditeurs et développeurs qui m’accordent leur confiance en me fournissant des codes en avance (et les autres, bien évidemment) afin que je puisse vous offrir un jugement au maximum complet.

À une certaine époque, je bossais sur un de ces sites dont la survie dépendait principalement des visites et des revenus générés par la publicité. Et qui dit génération de revenus via la publicité dit nécessité soit du « clickbait », soit de la production en masse de contenu. On pourrait dire que j’étais un mauvais employé qui me privait d’une bonne partie de ma paye, puisque je soignais chacune de mes news au point de passer une heure sur chacune d’entre elles et je jetais toute notion de clickbait par la fenêtre, car je privilégiais toujours les sujets qui m’intéressaient de prime abord et faisais tout pour expliquer ce genre de sujet.

Là, je sens que vous vous demandez quel est le rapport avec les copies presse : sur ce genre de site, les rédacteurs peuvent bosser jusqu’à 50h par semaine pour gagner peanuts (si on est payés, ce qui reste encore rare dans le milieu). Critiquer un jeu, ça rapporte certes plus, mais ça prend aussi beaucoup plus de temps à préparer. Or, les impératifs de référencement sur Google font que les dirigeants de ces sites nous tanneront pour que la critique soit sortie à l’instant où l’embargo sautera pour que dès que vous tapez « test *insérez jeu random* », vous puissiez voir notre critique. Cet état de fait met ainsi une pression monstre sur la personne en charge de la critique, qui livrera très certainement un travail bâclé pour être dans les temps.

Pour l’anecdote, la seule fois où une boîte affiliée à Nintendo nous a fait le coup de filer un code presse après la sortie du jeu, c’était The Pokémon Company International pour la sortie de Pokémon X/Y. Le jeu sortait un samedi et pour éviter tout leak, les blogs et sites en lesquels TPCI n’avait pas totalement confiance recevaient les codes presse le lundi suivant la sortie. J’avais donc été contraint d’aller à la supérette du coin le samedi matin (puisque aucune boutique de la région bordelaise ne voulait le lâcher en avance de peur de se prendre une amende très salée), jouer au jeu non-stop et le finir le dimanche soir (24h de jeu en moins de 36h, donc) et écrire une critique de 10 pages le lendemain pour une publication au plus vite. Vous dire que je me sentais bien physiquement le lendemain serait mentir (même si mentalement je me sentais super bien, parce que finir un jeu et une critique de 10 pages en moins de 72 heures donne l’impression d’être un dieu)… Après, je tiens à préciser que c’est la seule et unique fois que Nintendo nous a fait le coup, puisque tous les autres jeux à critiquer nous sont fournis un, voire deux mois avant la sortie. Pokémon est un cas assez particulier, puisque The Pokémon Company et Nintendo ont horreur des leaks et ne faisaient pas confiance aux plus petits sites, qui pouvaient plus facilement balancer des infos en mode kamikaze pour du clic facile (ce qui est complètement stupide, puisque c’est ruiner votre réputation sur le long-terme pour un gain ridicule sur le court-terme).

Le genre de moment où l’on aimerait bien ce genre de musique en fond pour se détendre…

La pression sur le rédacteur est la première raison pour laquelle la décision de Bethesda d’empêcher le lâcher de codes à la presse avant la date de sortie m’embête énormément… Mais elle est loin d’être la seule.

Un jeu vidéo, ce n’est pas une chocolatine. Ça ne coûte pas 15 centi… Euh, 1€10, mais entre 35€ et 70€ pour la plupart des gros titres. C’est un investissement financier qui peut être très lourd pour un étudiant ou une personne à la situation financière précaire. De fait, si on va prendre un jeu, on va prendre un truc que l’on sait sera bon, et les jolis trailers mis en ligne par les éditeurs ne sont pas forcément représentatifs de la qualité finale du produit. Avoir l’avis d’une personne dont les goûts sont proches des nôtres peut devenir nécessaire dans la prise de décision et donc de l’achat ou non du produit. Est-ce que je veux dire que le critique est un dieu qui peut anéantir la réputation d’un jeu ? Oui, non, faut pas non plus pousser. Je ne me sens pas plus puissant en disant que tel jeu est bon ou non. Après, je dois avouer que je ressens toujours énormément de satisfaction quand quelqu’un me dit qu’il est heureux d’avoir écouté mes conseils et acheté un Solatorobo : Red the Hunter qu’il n’aurait jamais acheté autrement (#PlacementDeProduit #JouezÀSolatorobo #ÇaDéfonce). Le critique est donc là pour conseiller le joueur, qui saura ainsi si un produit va lui faire passer un bon moment ou bien lui faire perdre du temps et de l’argent. D’ailleurs, en y repensant, quand on joue à un très mauvais jeu, on « perd notre temps » pour vous en faire potentiellement gagner. Après, est-ce que l’on en perd vraiment ? Non… Ou du moins, si on prend la peine d’analyser le pourquoi du comment ce jeu ne nous a pas satisfait et ainsi pouvoir utiliser cette analyse pour les critiques suivantes, puisque comme le disait un certain dieu « Rien n’est inutile ».

Plus sérieusement, et là c’est plus d’un point de vue personnel, un autre détail qui me titille dans le mauvais sens vient de la justification de Bethesda concernant cette rétention des copies presse, puisqu’en une phrase elle résume tout le problème :

While we will continue to work with media, streamers, and YouTubers to support their coverage – both before and after release – we want everyone, including those in the media, to experience our games at the same time.

Ce qui donne plus ou moins ceci : « Même si nous continuerons à travailler avec les médias, streamers et YouTubers pour les aider dans leur traitement de nos produits – aussi bien avant qu’après la sortie – nous voulons que tout le monde en fasse l’expérience en même temps, y compris ceux travaillant dans les médias. »

Si l’on devait se pencher sur les détails et pinailler, leur envie que tout le monde fasse l’expérience du jeu en même temps, les événements preview ne devraient jamais avoir lieu, mais passons. Le détail qui m’énerve le plus ici, ce n’est pas que le critique est mis au rang du reste, mais l’implication qui pourrait être traduite par « Bah écoutez les gens achèteront, puisqu’on a mis la gomme sur la comm’. S’ils sont pas suffisamment malins pour attendre de savoir si le jeu est bon ou non, c’est pas notre problème… Et puis bon, ça montre qu’ils nous font confiance, non ? » (Après, sur ce dernier point, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose de faire confiance à un éditeur, mais ça peut être bien naïf, surtout quand il s’agit d’un jeu bourré de micro-transactions, chose qui, en y repensant, n’arrive presque jamais chez Bethesda)

Après, je peux comprendre les raisons motivant ce genre de décisions : créer et publier un jeu, ça coûte cher. Très cher. Or, une critique négative ou un leak tournant le jeu en ridicule peut bien assez vite porter préjudice au produit et donc impacter négativement les ventes (d’autant que, comme le précise pertinemment Yukishiro de Gamekult, les patchs day one peuvent gommer des problèmes qui auraient été mentionnés dans les critiques). Cependant, et c’est quelque chose que toute la presse s’accorde à dire : si un éditeur lâche une copie presse ou lève l’embargo à la dernière minute, c’est rarement parce que le jeu est bon (coucou Mafia III/No Man’s Sky, qui ont récemment fait la non-joie des critiques en débarquant après la sortie). Chez les joueurs les plus avertis, ça peut envoyer de très mauvais signaux et donc négativement impacter les ventes, même si une des raisons qui a motivé Bethesda a prendre cette décision nous est carrément frotté dans la figure : Doom.

Et c’est une chose qui me rend d’autant plus perplexe, puisque le succès de Doom vient justement du fait que personne n’en attendait rien et la presse partait sur un à-priori négatif, pour au final être très agréablement surpris. Et c’est cette surprise qui a créé un effet de bouche à oreille entraînant des ventes plus que correctes pour le jeu. C’était un pari très risqué, mais payant et c’est ce précédent qui les a conforté dans cette prise de décision. Après, pour la défense de Bethesda, pas un de leurs jeux sortis récemment n’a été considéré comme mauvais (en dehors de Fallout 4,  qui semble avoir été reçu un peu plus tièdement, même si positivement) et Dishonored 2 s’annonce vraiment excellent.

La seule chose que j’espère, c’est que les autres éditeurs ne vont pas décider de nous sortir quelque chose de similaire et juste se contenter au grand pire de fixer la date limite des embargos à la veille de la sortie de leur produit (démarche déjà assez malhonnête d’un point de vue intellectuel, mais à la limite de l’acceptable). C’est juste un coup à rendre les critiques de certaines rédactions totalement fous et les forcer à rendre un papier bâclé, ce qui n’est pas nécessairement une bonne chose.

Et vu que je me suis totalement perdu dans mes pensées et mon raisonnement, je vais conclure en disant qu’il faut bénir Nintendo, qui nous aide vraiment en nous fournissant les copies presse bien en avance. Ça nous aide vraiment et c’est tellement satisfaisant d’avoir une critique prête trois semaines avant sa publication que si tout le monde le faisait, on pourrait enfin mettre beaucoup de sites sur un pied d’égalité et éviter cette ridicule course au référencement. Ça et puis se farcir des RPG de plus de 30h en moins d’une semaine, c’est toujours un plaisir (#Sarcasme)

Benjamin « Red » Beziat