Si vous fréquentez ma chaîne depuis l’an dernier ou lisez mes critiques depuis presque 9 ans (ouch), vous savez que j’ai une approche assez sèche et simple de la critique. J’ai tendance à décrire les jeux sous leurs divers aspects, les prenant un par un avant de donner mon ressenti global, avec une forte tendance à pinailler quand il s’agit de jeux que j’aime énormément.
Bien évidemment, l’appréciation des jeux vidéo ne vient pas que d’un découpage méticuleux et ça relève plus de la combinaison de ces divers éléments, mais dans le cas de Sakura Wars, je tombe sur quelque chose d’aussi étonnant qu’unique : je suis tombé amoureux de ce jeu pour un élément qui ne fait pas parti d’un cahier des charges, mais qui émerge de manière naturelle de la combinaison de ses éléments ! Je suis tombé amoureux de l’âme de ce jeu et donc pour cette critique je vais tenter au maximum d’extraire cette âme et vous l’expliquer. Car dans les faits, Sakura Wars est un jeu vidéo vaguement interactif à la narration ultra prévisible et classique qui en plus se permet d’être assez mal optimisé pour la console sur lequel il tourne.
Et pourtant je l’ai beaucoup aimé et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
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Mais avant de commencer à parler du jeu, il me faut parler un peu de la série Sakura Taisen, puisqu’elle est plutôt méconnue chez nous alors qu’il s’agit d’une petite institution au Japon qui remonte à la Sega Saturn en 1996. Le succès est immédiat, avec de nombreux films et une série animée qui sont rapidement produits. Cinq épisodes de la série principale sont sortis jusqu’en 2005, le dernier étant le seul à sortir en Occident dans un portage sur Wii qui n’aura malheureusement pas eu le succès espéré, au point que la série sera mise de côté jusqu’en 2019 avec un soft reboot qui sortira sur PS4 et qui changera en partie de genre.
Car là où les cinq premiers épisodes étaient des visual novels entrecoupés de phases de Tactical-RPG, ce nouvel épisode reste dans l’esprit un visual novel, mais est entrecoupé de phases de beat-them-all un peu brouillons qui piquent le concept de Witch Time de Bayonetta, où une bonne esquive permet de ralentir le temps, très certainement pour essayer de convaincre le public occidental de l’essayer.
D’ailleurs, ça se sent que Sega a pas mal misé sur un éventuel succès en Occident pour ce nouvel épisode, puisque outre le fait qu’il s’agit d’un reboot qui ne requiert aucune connaissance préalable des personnages et événements de la série (j’y reviens), ils ont demandé à Tite Kubo, le créateur du manga Bleach d’en être le character designer principal. Oh et juste pour le fun, ils ont aussi demandé à Shigenori Soejima, character designer de la série Persona et Shin Megami Tensei, ou bien Yukiko Horiguchi chara designer de la série K-On et Lucky Star de participer. Oh et ils ont aussi mis l’accent sur le fait que Kohei Tanaka, le compositeur des musiques de l’anime One Piece et du jeu Gravity Rush reprenait du service pour la série, car il avait aussi composé pour Sakura Taisen auparavant.
Et en plus le jeu est intégralement traduit en français !
Bref, je ne pense pas avoir besoin de m’étendre plus sur le fait que Sega croyait énormément dans ce projet développé par la team derrière les excellentissimes Valkyria Chronicles 1 et 4 (on va passer outre le 2, le 3 et surtout Revolution *tousse*) qui transpire la passion par tous les pores… Et qui s’est un peu pris les pieds dans le tapis en termes de ventes, puisque malgré un excellent premier week-end au Japon, la courbe s’est presque immédiatement arrêtée pour difficilement atteindre les 200 000 exemplaires (ce qui reste un bon score, mais pas autant qu’espéré vu l’ambition et les moyens investis). Et je crains qu’il ne fasse pas forcément mieux en Occident, puisque non seulement il s’est un peu ramassé au niveau critique, mais il est sorti dans un mois dominé par Resident Evil 3 et le rouleau compresseur Final Fantasy VII Remake. Cela ne veut pas non plus dire que l’on n’aura pas de suite, mais disons que ça risque de prendre probablement un peu plus de temps que prévu.
Maintenant que la leçon d’histoire est terminée, faudrait peut-être que je vous dise de quoi Sakura Wars parle et que je vous explique pourquoi je l’ai bien aimé !
Situé une dizaine d’années après les événements des premiers épisodes, on suit les aventures de Seijuro Kamiyama, un ancien soldat qui a été contraint de quitter la marine pour être réaffecté dans la Brigade des Fleurs, une organisation souterraine qui combat les démons quand nécessaire et qui le reste du temps sont une troupe de théâtre montant des spectacles pour illuminer la journée des gens. Le truc, c’est que le théâtre est au bord de la faillite et il en revient donc à Seijuro de tout faire pour empêcher à l’entreprise de couler. Leur salut ou bien leur malheur arrivera sous la forme d’un immense tournoi réunissant les différentes brigades du monde entier pour déterminer qui est le meilleur, avec bien évidemment la reconnaissance et l’argent qui vont avec.
Pour être 100% franc, l’histoire en elle-même ne casse pas trois pattes à un canard. Les méchants sont grillés direct, la plupart des gros twists peuvent facilement se deviner et ça ne prend globalement pas assez de risques pour nous surprendre (même s’il y a un bon twist que j’ai apprécié et que je n’ai pas vu venir). De plus, il arrivera que l’histoire prenne des tournants assez extrêmes pour des raisons pas forcément bien amenés qui font plus rire que nous impliquer émotionnellement. Et c’est sans parler du fait que certains personnages sont juste des clichés ambulants qui n’iront pas forcément plus loin que leur gimmick, le pire exemple étant Azami la gamine ninja dont le running gag est de déclamer des règles de ninja plus ou moins une ligne sur trois, ce qui est un peu usant.
En fait, ce qui fait la force de ce jeu, c’est cet étrange élan nostalgique qu’il dégage et qui a fait que ça a beaucoup résonné avec moi.
Je retourne un peu à mon cours d’histoire, mais Sakura Taisen est sorti en 1996 à une époque où les histoires étaient souvent plus légères (pas non plus tout le temps, attention à ce que je n’ai pas dit), le steampunk était à la mode et Evangelion venait tout juste de bouleverser le secteur de l’animation japonaise et Nadia et le Secret de l’Eau Bleu (réalisé par Hideaki Anno, comme Evangelion) avait capturé l’imaginaire populaire. Autrement dit, les robots pilotés par des gens, le steampunk et ses dirigeables et les aventures étaient à la mode et Sakura Taisen en était le parfait mélange, y insufflant une petite touche de Japon industriel pour couronner le tout.
Sakura Wars reprend tout ça et y rajoute la petite dose de réalisme et de drama que l’on retrouve plus facilement aujourd’hui. L’intrigue avance doucement, préférant se focaliser sur ses personnages pour tous les rendre attachants (si l’on excepte les clichés et gimmicks) et il en résulte un jeu qui s’apparente à une sorte de petit nid douillet nostalgique dont j’avais visiblement besoin.
Sakura Wars déborde d’une forme de sincérité, de naïveté et de légèreté dans son écriture que je n’ai plus vraiment l’impression de retrouver ailleurs et, étrangement, ça fait un bien fou. Bon, c’est peut-être en partie lié au climat d’incertitude qui plane sur nous actuellement, je le conçois, mais retrouver ce sentiment de revire les années 90 n’est franchement pas un mal.
Après, je ne vais pas vous cacher que ce jeu est aussi un jeu 100% weeb, avec certaines vannes qui visent en dessous de la ceinture et au dessus du décolleté, mais contrairement à une bonne partie des jeux japonais qui misent beaucoup trop sur leur fan-service pour vendre, Sakura Wars fait preuve d’une certaine retenue et ne va pas vous encourager activement à faire ressortir votre pervers intérieur… Sauf dans le cas d’Anastasia, dont le design a probablement été un poil exagéré avec un tour de poitrine qui fait hurler ma scoliose, mais bon, c’est la weebosphère, qu’est-ce qu’on peut y faire…
En ce qui concerne le gameplay pur et dur, il ne faut pas s’attendre à un gros jeu d’action. Sakura Wars est tout d’abord un visual novel, puis loin derrière un jeu d’action. À la louche, sur la vingtaine d’heures qu’il m’a fallu pour finir le jeu et en enlevant les phases de marche pour se focaliser sur les combats, je n’ai probablement « joué » que quatre heures je pense ? Et même si le gameplay fait preuve d’un peu plus de subtilité qu’un Trials of Mana, avec des combos plus variés et la possibilité d’utiliser le Witch Time de Bayonetta, là aussi, ça ne vole pas bien haut. C’est brouillon, on voit mal quand les ennemis vont attaquer et on ne peut pas sortir d’esquive tant que notre attaque n’est pas terminée, les phases de plateforme sont assez hasardeuses parce que le double-saut fonctionne quand il le veut et ça se résume plus ou moins à taper sur les monstres jusqu’à ce qu’ils explosent, mais ça a le mérite d’être un minimum dynamique pour ne pas ennuyer.
Le truc très intéressant que j’ai remarqué, ceci étant dit, vient du fait que nos personnages n’évoluent pas avec des niveaux, mais grâce aux phases d’exploration, créant une sorte d’interdépendance plutôt intelligente. Durant les phases d’exploration, vous pouvez soit directement aller au marqueur d’objectif qui fera avancer l’histoire, ou bien prendre le temps de solliciter les autres personnages pour déclencher des cutscenes supplémentaires qui sont rarement inintéressantes (sauf sur la fin parce que ça finit par tourner un peu en rond au bout de 20 heures) où vous pouvez choisir entre différentes options de dialogue. Selon vos choix, la jauge de confiance de vos alliés augmentera ou diminuera et l’état de cette jauge influencera sur votre niveau d’attaque et de défense en combat. Autrement dit, si vous ne faites que progresser l’histoire, bah vous en baverez probablement plus en combat plus tard. Et en plus vous vous priverez des scènes supplémentaires alors que c’est le principal intérêt de ce jeu…
Le truc à noter, c’est que le jeu reste globalement assez facile. Il n’y a pas de niveau de difficulté, mais même sans ça, on parvient assez facilement à ses fins.
En termes d’activités annexes, il y a un jeu de hanafuda assez poussé, où vous pouvez affronter les différents personnages du jeu à ce jeu de cartes japonais pas forcément évident à comprendre, et un simulateur de combat, qui revient grosso modo à refaire les niveaux déjà visités pour en obtenir un rang S, ce qui là-aussi n’est pas bien difficile à avoir.
Donc erm… Oui, en gros le jeu se résume en très très grande partie à regarder des cutscenes, choisir des lignes de dialogue pour renforcer nos liens avec nos personnages et un tout petit peu se battre. Voilà.
Le dernier aspect qui a fait que j’ai plutôt bien apprécié cette expérience vient de la partie présentation. Les doublages en japonais sont incroyables, avec pas mal de voix que vous avez forcément entendu dans des grands anime et les musiques de Kohei Tanaka sont vraiment excellentes, au point que les deux combinés m’ont filé à deux reprises de bons gros frissons, chose qui arrive rarement dans un jeu !
Le seul truc qui m’a rendu très perplexe concernant la partie audio vient du fait que pas toutes les lignes ne soient doublées. En temps normal, que les personnages soient muets n’est pas vraiment un problème, mais le truc, c’est qu’ici les cutscenes sont pleinement animées ! Vous voyez les personnages bouger de manière dynamique, mais aucun son ne sort de leur bouche. Je pensais que c’était un bug d’audio, mais en fait c’est juste qu’ils devaient être à court de budget et ont joué les équilibristes pour avoir un maximum de dialogues sans pour autant devoir en couper. En faisant des recherches, je suis tombé sur une interview de Toshihiro Nagoshi, le créateur de la série Yakuza qui a produit Sakura Wars et qui expliquait que beaucoup de joueurs avaient eu la même sensation que moi et que s’ils pouvaient faire une suite, ils s’assureraient de trouver un meilleur équilibre, voire feraient un prochain épisode avec des doublages intégraux, ce qui serait cool.
Côté graphismes, les décors sont superbes, avec une incroyable remise à jour en 3D et à l’identique du théâtre de Sakura Taisen et les personnages sont plutôt jolis… Mais le jeu souffre assez souvent de baisses brutales de framerate de manière assez irrégulière. Personnellement, je n’y faisais pas trop gaffe, mais ça peut être agaçant pour certaines personnes.
Au final… Je ne pensais pas écrire autant sur ce jeu, mais nous voilà avec déjà 4 pages de script alors que je pensais que ça serait une de mes critiques les plus courtes tant le jeu est d’une simplicité désarmante ! Sakura Wars est un cas très étrange, puisqu’il est une non seulement une évolution de la série, mais aussi très conservateur sur la forme, s’apparentant finalement plus à un visual novel avec un très gros budget qu’à autre chose. Mon seul vrai regret vient du fait que son histoire, aussi simple et réconfortante soit-elle, manque d’ambition et de prise de risques. Pour un reboot, dans un sens ça passe, puisqu’il y avait quand même pas mal de choses à introduire à un nouveau public, mais j’espère que si suite il y a, ils iront un peu plus loin dans leurs idées.
Et du coup, pour ce qui est de le recommander… C’est hyper difficile. D’un côté, j’ai envie de vous le recommander puisque j’ai passé un bon moment, mais de l’autre, ça repose sur énormément de variables qu’il faudrait que je créé une sorte d’arbre d’affinité pour savoir dans quelle catégorie vous tomberiez.
Pour que je puisse pleinement vous le recommander, il faudrait que vous ayez grandi dans les années 90 ou avant, que vous aimiez les anime, que vous n’ayez pas peur d’une histoire un poil trop simple et aussi que vous n’ayez pas peur qu’il ne se passe concrètement pas grand chose pendant une bonne partie de ladite histoire. Sakura Wars est un jeu que l’on appréciera pour le temps passé avec ses personnages et son univers fascinant, d’autant plus que tout a été fait pour rendre l’expérience la plus agréable possible pour le plus grand nombre.
Bref, si vous cochez la plupart de ces cases, il y a moyen pour que vous l’appréciez aussi, mais pour les autres, je pense qu’il vaudra mieux attendre soit une forte baisse de prix, soit un prochain épisode qui sera un peu plus ambitieux dans sa narration…