Quand une série est populaire, il y a deux stratégies à adopter : soit prendre son temps pour sortir une suite que l’on puisse considérer comme parfaite et espérer que l’on ne soit pas tombé en désuétude entretemps (une tactique qui fonctionne mieux sur les séries bien établies dans notre paysage culturel), soit tenter d’encore plus s’imposer en multipliant les sorties sur une période de temps restreinte. Généralement, on se retrouve avec des produits de qualité moindre, mais, dans le cas de Fire Emblem et parce qu’il s’agit de Nintendo, on ne se retrouve pas avec une telle situation ici.

Car Fire Emblem Echoes : Shadows of Valentia est un remake de l’épisode le moins apprécié de la série à cause de mécaniques trop « différentes ». Un choix assez curieux, mais plus que bienvenu quand on considère le gain de temps engendré par cette décision et le fait que l’on commençait dangereusement à se retrouver face à l’installation d’une routine faite d’un mélange entre le Tactical et le Simulateur de Drague. Et pour être honnête, je n’ai pas trouvé Fire Emblem Fates aussi mémorable que prévu, la faute non pas à ses bonnes mécaniques de jeu, mais à cause de son écriture plus que fainéante, son personnage principal peu intéressant et ses personnages trop stéréotypés et rarement développés.

Pour le coup, je trouve que Echoes est sur ce plan-ci une bénédiction. Sur le plan du gameplay, en revanche… Les choses se compliquent un peu.

Mae is Bae

Avant de parler du gameplay, je dois tout d’abord déverser tout l’amour que j’ai pour l’histoire de cet épisode : le continent de Valentia est en danger. Auparavant protégés par les dieux draconniques Mila et Duma, les deux nations de Rigel et Zofia sont en passe de se mettre sur la tronche suite au dépérissement inquiétant des terres de Zofia et le meurtre de son roi par un chancelier avide de pouvoir. Alm, un jeune villageois tout ce qu’il y a de plus normal, décide de quitter le village qui l’a vu grandir pour rejoindre la Délivrance, un groupe de soldats rebelles prêts à tout pour reprendre le château et par la suite tenter de raisonner l’empereur de Rigel, qui est un peu méchant et un peu malpoli. De son côté, Celica, une jeune prêtresse, décide d’aller au temple de Mila pour l’interroger sur le dépérissement des terres et négocier un retour à la normale.

On suivra le destin de ces deux personnages et de leurs amis/alliés à tour de rôle et l’intrigue les verra se croiser et recroiser de manière parfois attendue, parfois assez choquante. L’histoire reste de la High Fantasy assez classique, avec des twists parfois un peu trop prévisibles, mais reste passionnante à suivre de bout en bout pour une simple raison : son écriture. Les personnages principaux sont parfois très complexes et il m’est arrivé à quelques reprises de me demander si je jouais à un jeu Nintendo tant certaines thématiques peuvent être perturbantes. Et même si du côté des personnages secondaires on peut se retrouver avec des stéréotypes sur pattes, leur nombre est bien moins important que dans Awakening ou Fates et certains connaissent un véritable développement. Les échanges entre certains personnages sont vraiment drôles ou touchants selon les moments et on s’attache énormément à certains d’entre eux.

À noter qu’un autre élément qui les rend vraiment cool à suivre vient du fait que 95% du jeu est doublé en anglais ! On est limite choqués quand un PNJ de village n’a pas de voix, car la plupart en ont une. Et heureusement pour nous, le doublage est excellent. Les acteurs y mettent parfois leurs tripes et les voix collent très bien avec les personnages. Mention spéciale à Mae, la mage qui accompagne Celica, qui déborde tellement d’énergie que ça en devient contagieux.

Cependant, et c’est aussi ce qui peut être un point faible pour certains : le jeu est presque un visual novel tant il y a de cutscenes. Après, il y a pas mal de dialogues optionnels, mais il serait dommage de les zapper, car ils peuvent ajouter pas mal de profondeurs aux personnages et à l’univers et contribuent clairement à l’affection que j’ai pu ressentir à l’égard de ce jeu.

David Boey Was Here

Concernant le gameplay, c’est là que les choses se corsent. Le système de binômes a totalement disparu mais pas tellement, les armes ne se cassent plus au profit d’un système de fatigue, la magie et les attaques spéciales consomment des PV, le triangle des armes est absent, on peut explorer des donjons et le jeu est beaucoup plus vicieux, voire injuste par moments.

Fire Emblem_Mycen_Echoes

Concernant le système de binômes, c’est assez compliqué à expliquer, mais on peut toujours mettre des unités les unes à côté des autres pour créer des liens d’affinité. Ces liens sont spécifiques à certains personnages, signifiant que l’on ne verra pas deux personnages qui n’ont rien à faire « ensemble » se taper la discute, ce qui est assez étrange, et je n’y ai concrètement vu aucun effet particulier, autre que de débloquer des dialogues optionnels intéressants. Ce choix peut se comprendre, puisque contrairement à Awakening ou Fates où tout le monde dans l’armée était un célibataire endurci cherchant l’amour, dans Echoes, une partie des personnages est déjà en couple ou a des vues sur quelqu’un du groupe, ce qui ajoute un peu plus de profondeur et d’intérêt à chacun d’entre eux. Là, on se retrouve donc face à un compromis un peu perturbant, mais pas inintéressant pour autant.

Concernant les donjons, il n’y a pas grand chose à en dire : on se balade librement dans des couloirs un peu vides et mornes avec un personnage en 3D et on peut taper sur des caisses pour du loot et des monstres que l’on voit pour lancer une bataille « à la Fire Emblem » où les monstres auraient perdu un huitième de vie. Les donjons en eux-mêmes sont rarement intéressants car le level-design est assez classique et qu’il n’y a rien à faire. Pas de pièges, ni d’énigmes. Juste des caisses et des monstres, sachant qu’en plus les animations de frappe sont assez lentes et que le personnage glisse sur quinze mètres à chaque coup, faisant que frapper les caisses peut parfois tourner à l’exercice de patience. Après, les donjons possèdent quand même des récompenses intéressantes à la clé : des armes à équiper (et qui occuperont le seul slot d’objet de votre personnage, signifiant que vous sacrifierez un objet de soin au profit de plus de puissance, ce que je trouve très cool), des fontaines permettant d’augmenter les stats d’un de vos guerriers ou bien des statues de Mila, qui vous permettent de d’améliorer votre classe ou de sacrifier un objet en offrande pour vous alléger de votre fatigue.

Car, et c’est là où vient un des rares éléments de tension/crispation des donjons : tout le monde finit tôt où tard par se fatiguer s’il ne mange pas quelque chose. Enchaînez trop de combats d’un coup et votre personnage finira avec ses PV réduits de moitié, ce qui, en ce qui concerne le personnage principal, revient plus ou moins à devenir un potentiel Game Over sur pattes. Sachant que l’on ne peut sauvegarder que devant les statues de Mila, imaginez la frustration que j’ai pu ressentir en me faisant tuer en un coup après trente minutes de crapahutage dans un des pires donjons du jeu… Oui, ma 3DS a failli finir dans un mur.

À noter aussi que Fire Emblem Echoes est beaucoup plus difficile que ses deux prédécesseurs, proposant parfois des cartes ignobles. Imaginez juste un combat sur un terrain à moitié rempli d’eau empoisonnée enlevant 5PV à chaque tour, avec votre armée d’un côté et une vingtaine des ennemis les plus irritants du jeu de l’autre, capables d’invoquer des petits monstres à gogo et qui ne lèveront pas le petit doigt tant que vous n’aurez pas traversé cette rivière, sachant aussi que vos déplacements sont limités à deux cases maximum par tour… Bref, à moins d’avoir une unité volante performante et/ou téléporter toutes vos unités une par une au risque de les voir se faire décimer tour à tour, vous comprendrez ce qu’est la souffrance. En « Casual », ça passe, puisque vos unités réapparaîtront en fin de combat, mais imaginez la frustration de ceux qui voudront y jouer en « Classique », où un personnage tombé au combat l’est définitivement… Heureusement, il n’y a que deux-trois cartes véritablement traitresses dans le lot, mais ces pics de difficulté pourront causer quelques crises de nerfs à ceux qui ont décidé de faire face à une véritable hécatombe.

Après, et heureusement pour eux, il existe l’Horloge de Mila, qui est un appareil permettant de remonter le temps et effacer nos actions les plus stupides, évitant ainsi le coup classique de la sauvegarde rapide et du redémarrage obligatoire à la moindre erreur. Bien évidemment, cette option n’est pas absurdement puissante, car elle est limitée par le nombre de rouages que vous aurez trouvé en explorant (mais qui peuvent être rechargés en offrant quelque chose à une statue de Mila).

The Kliff of Dover

Fire Emblem Echoes Kliff

J’ai déjà parlé de mon amour des doublages du jeu, mais l’autre aspect de la présentation qui m’a grandement fait plaisir, c’est bien son chara-design. Remplaçant Yusuke Kozaki, l’artiste japonaise Hidari offre à cet épisode un trait plus « réaliste » du plus bel effet. Chacun des personnages présents est un véritable plaisir pour les yeux, du noble et monstrueusement charismatique Mycen au « husbando-material » Kliff, on a le droit à un ensemble de designs varié et intéressants (au point que j’adorerais mettre la main sur un artbook du jeu, même si la tâche peut s’avérer ardue et coûteuse).

Les musiques sont tout aussi excellentes, même si je regrette qu’elles soient moins mémorables que celles des épisodes précédents. Les compositions sont plus que solides, mais elles restent moins en tête que d’autres morceaux de la série.

Enfin, un dernier point assez anecdotique qui m’a fait légèrement tiquer, c’est l’inconstance de style des cutcenes. Parfois on aura des simples portraits de personnages se répondant, parfois des images fixes, parfois des scènes animées avec le moteur du jeu et d’autres fois des séquences animées dans un style assez similaire à celui employé pour la nouvelle série Berserk. C’est assez étrange, d’autant plus que certaines séquences qui auraient du pleinement être animées pour gagner en intensité ne se font qu’avec une image fixe, tandis que des scènes plus ou moins inutiles sont pleinement animées. Bon, après, je pinaille, mais c’est juste parce que j’ai vraiment aimé ce jeu et j’aurais aimé que son budget ait été légèrement plus conséquent.

En bref, Fire Emblem Echoes : Shadows of Valentia est pour moi un excellent jeu. Ce n’est pas l’épisode qui mettra tout le monde d’accord, car la surabondance de dialogue risque d’en exaspérer plus d’un, tandis que la difficulté atroce et les donjons un peu vides vont déplaire à d’autres, mais malgré tout ça, il s’agit de l’épisode qui a rallumé mon amour pour la série, grâce à ses personnages intéressants et son histoire certes classique, mais efficace en plus de parfois être bien burnée. Si vous aimez les jeux à narration, cet épisode est un très bon cru. Si vous n’avez pas peur de la difficulté (relative, mais quand même assez présente en Normal Non Permadeath), là aussi je le recommande.

Tout ce que j’espère maintenant, c’est que le prochain épisode sur Nintendo Switch lorgne plus du côté d’Echoes que de Fates pour son histoire et décide de rajouter une bonne grosse dose de « Mitsuda », nous balançant dans une histoire encore plus complexe et passionnante. On tiendrait probablement là un de mes jeux préférés de tous les temps.

Benjamin « Red » Beziat