Il est des jeux que l’on n’attend pas particulièrement et sur lesquels on tombe totalement par hasard. Avec The Magic Circle – Gold Edition sur PS4, la situation était plus ou moins la même, puisque j’ai reçu un mail un peu par hasard pour voir si je voulais une clé pour un jeu traitant du processus de fabrication d’un jeu. Curieux, je creuse, puis creuse, puis apprend qu’il y a Ashly Burch au casting. Bon, bah banco, hein ! Et en creusant encore plus, je découvre que le projet provient d’anciens développeurs de chez Irrational Games et 2K, et qu’ils avaient bossé sur Bioshock 2 et Bioshock Infinite… Ok, où est le code !?

(Bien évidemment, je mettrai une balise spoiler vers la fin du texte, puisque j’ai besoin d’aborder quelque chose concernant le fond du jeu, qui est… Assez particulier et est intimement lié au message donné à la fin.)

Will the Circle be Unbroken ?

Le jeu nous place dans les bottes d’un bêta-testeur participant à une phase de test d’un jeu encore très peu avancé dans son développement. Les couleurs ne sont pas encore là, les ennemis pas encore programmés, les animations tellement rudimentaires que l’on dirait juste des figurines de jeu de plateau… Bref, rien de bien intéressant… Jusqu’à ce que l’on apprenne que le jeu est en fait une suite à une série légendaire ayant été mise en chantier il y a vingt ans ! Encore plus intéressant, on voit sous forme d’oeil flottant le créateur du jeu et la productrice se disputer puisque ça fait beaucoup trop longtemps que le projet a commencé et qu’il serait peut-être temps de donner un produit fini au joueur.

Faisant fi des querelles des développeurs, on avance et on finit un jeu vraiment pas bien folichon… Fin ? Bien évidemment que non, puisqu’une mystérieuse voix nous intime de profiter d’un bug dont on a été victime pour prendre le contrôle du développement du jeu et ainsi débloquer la situation. Qui est cette voix ? Est-elle bien intentionnée ? Si on a joué à un jeu un minimum porté sur la narration, le twist est grillé direct, mais la façon dont est traité ce twist est plus qu’intéressant.

D’un point de vue narration, j’ai trouvé ce jeu absolument fascinant, puisqu’il aborde énormément de thèmes et il est presque impossible de ne pas établir de lien entre “Starfather”, le créateur du jeu, et “Lord British”, a.k.a Richard Gariott, le créateur de la légendaire série Ultima. Ainsi, j’ai clairement eu l’impression de jouer à une biographie romancée de son parcours, puisqu’il est ici aussi question d’un créateur dépassé par sa propre oeuvre, au point de rendre certains fans plus que flippants, comme le personnage joué par Ashly Burch, une actrice ayant commencé sur une websérie nommée Hey Ash Watcha Playin’ et qui grâce à la série et la chance monstrueuse de son frère a pu commencer une carrière de comédienne de doublage dans Borderlands 2 et qui par la suite s’est retrouvée un peu partout, de Awesomenauts à Life is Strange en passant par l’anime Space Dandy (oui, je suis un gros fan).

Et là où ça fait encore plus fort, c’est que le jeu n’aborde pas que le développement, mais aussi la vie personnelle des développeurs, au point de rentrer dans l’intimité de ces personnes, aussi bien via des audiologs récents concernant la “version actuelle” de The Magic Circle que dans le “commentaire des développeurs” de sa première version, que l’on a l’occasion de visiter. On est plongés dans la vie de Starfather, au point qu’on éprouve énormément de peine pour ce personnage condamné à enchaîner les erreurs jusqu’au point de non-retour.

Et niveau ambiance, ça y va, puisque plus on avance, plus les rires francs laissent place à une certaine inquiétude, voire carrément un malaise quand on se rend compte que le personnage d’Ashly Burch représente parfaitement le fanboy caricatural, prêt à envoyer des lettres de menace de mort si jamais un détail ne lui plaît pas (d’ailleurs, on peut facilement faire un parallèle avec le livre Misery de Stephen King). C’est même au point que l’on a cette sensation que quelque chose va très, très mal se passer, surtout quand on prend en compte le côté presque voyeur du récit avec les différents audiologs.

The Magic Circle 2

En ce qui concerne le gameplay en lui-même, ça reste plutôt simple. On marche et on résout des puzzles à l’aide de notre pouvoir consistant à donner vie aux éléments invisibles et hacker les ennemis et objets. Là où ça devient vraiment cool, c’est que l’on peut changer les ordres des ennemis/objets en modifiant leurs lignes de code de sorte à se les mettre dans notre camp, cibler un ennemi en particulier, les faire voler ou bien cracher du feu… Les possibilités de combinaison sont très nombreuses, au point qu’il existe plein de solutions pour une seule énigme. Bien évidemment, il n’est pas possible de tout changer de suite et pour pouvoir insérer les commandes les plus folles, il faudra les voler aux ennemis. Par exemple, pour faire voler un de nos alliés, il faudra vaincre un ennemi volant, le hacker, lui voler la ligne de code indiquant que l’ennemi peut voler, puis injecter cette commande dans l’allié que l’on souhaite. Avoir un cadavre qui vole avec des petites hélices sur la tête et qui peut tirer des lasers dévastateurs ? Possible ! Le plus drôle, c’est quand on arrive à faire d’une dizaine de cailloux et autres créatures vivantes nos alliés et qu’on les invoque pour les avoir à nos côtés s’ils ne peuvent pas nous suivre, puisque l’on voit subitement une armée de cailloux/champignons/chiens sans jambes tomber du ciel sur notre tronche. Oui, c’est débile, mais le jeu nous le permet, donc autant s’amuser au maximum avec le système pour en tester les limites !

En fait, en y réfléchissant, le plus gros problème du jeu est qu’il lui manque ce petit truc indescriptible qui ferait que l’on se sent immergé à cent pourcents dans son univers. Et m’est avis que c’est le manque de challenge qui est en cause, puisque en dehors d’une énigme parfaitement tordue que j’ai résolue en faisant quelque chose de réellement débile qui ignorait totalement le problème (mais qui m’a quand même pris trente minutes à deviner), passé un certain point, on est lâché dans un vaste hub qui ne nous impose absolument rien. Du coup on se met à se balader ici et là sans vraiment savoir quoi faire et sans véritable but. On tourne en rond jusqu’à ce que l’on trouve le truc qui nous fera avancer vers la fin du jeu. Sa grande liberté est son plus grand ennemi, puisque je n’avais pas l’impression de faire quoi que ce soit d’important.

En bref, The Magic Circle Gold Edition fait partie de ces ovnis qu’il est intéressant de faire. Son casting est impeccable (avec un petit caméo vocal furtif de Ken Levine, le créateur de Bioshock), sa bande-son à la fois expérimentale et cool et son concept tellement fou et permissif qu’il y a moyen de créer des situations bien débiles. Mais ce qui ressort le plus, c’est sa façon de raconter une histoire se déroulant sur des décennies et qui parvient en à peine quatre heures à nous plonger dans les recoins les plus intimes d’un créateur fictif inspiré par plus ou moins tous les auteurs et artistes au monde, parlant sans complexes des joies et des craintes de ce métier, même si la “punchline” peut paraître très bancale… Mais j’y reviens dans la zone spoiler. Si vous vous intéressez aux coulisses du jeu vidéo, ce jeu peut être une étape intéressante, car même si il ne détient pas la Vérité Absolue, on sent qu’il a été fait par des gens qui ont vécu ces situations, donc il y a quand même un fond de vérité à analyser. Place maintenant aux spoilers après cette image de panda mignon !

Panda

ATTENTION ! ZONE SPOILER !

Une des plus grosses erreurs de parcours de ce jeu provient de sa durée, puisque le jeu dure à peine plus de quatre heures et parvient à atteindre un point où l’on a l’impression de faire face à des longueurs et paradoxalement à un manque de profondeur qui fait que les événements s’enchaînent un poil trop vite. Ceci est clairement visible quand on fait face à sa chute moralisatrice un poil trop pompeuse et “faussement intello” qui manque cruellement de subtilité, au point que l’on a l’impression que le message du jeu est négatif et que les développeurs en auraient marre des joueurs, qui se réapproprient l’oeuvre de créatifs pour en faire des monstruosités (ce à quoi je répondrai que tous les arts sont réappropriés par ceux qui en font l’expérience, au point parfois d’en ressortir avec des impressions contraires à celles que voulaient laisser initialement l’auteur… Mais je digresse).

Car lorsque Starfather s’adresse à nous directement après avoir raté la présentation de son produit, on retrouve un créateur acculé. Ce projet est le dernier moyen pour lui de transmettre aux gens un message et il nous en veut de l’avoir tourné en dérision en jouant avec les codes du jeu vidéo. Or, le jeu vidéo est un art encore plus interactif que les autres. Donc on peut comprendre le fait qu’il se sente trahi par les joueurs, mais dans ce cas, pourquoi laisser aux gens une marge de manoeuvre ? Si on veut transmettre un message efficacement tout en limitant les risques d’interprétation erronée, on fait un jeu ultra dirigiste. Ou un film. Après, une autre partie du message est que les développeurs reprochent aux joueurs de bouder les expériences un minimum intellectuelles au profit de jeux fun. Et là, ça devient bien plus intéressant, même si c’est carrément condescendant et faux. Il existe un moyen d’allier les deux et The Magic Circle y arrive bien, ironiquement. Au final, on a juste l’impression que les vrais développeurs de chez Question ont véhiculé un message un poil réactionnaire, et ça casse un peu toute la magie du jeu. Non pas que ça en fait une mauvaise expérience, mais ça n’en reste pas moins dommage de les voir se prendre les pieds dans le tapis en délivrant un message aussi faux.

Benjamin « Red » Beziat