Suite et fin de ce reportage consacré au jeu vidéo du point de vue de deux studios de dév’ indépendant. Si vous avez loupé la première partie, il est plus que conseillé de suivre ce petit lien. Parce que bon, il serait bête de prendre ce train en marche, non ?

L’empire du vin contre-attaque

Au fil de la conversation, j’en suis ressorti avec la sensation que Bordeaux avait le potentiel de devenir un nouveau pôle majeur du jeu vidéo, capable de rivaliser avec les redoutables Paris, Montpellier et la région lilloise. Et même si ça paraît incroyablement chauvin, il y a matière à y croire, car en dehors de tout ce qui est jeu vidéo, la SNCF est en train de nous faciliter la vie (qui l’eût cru!) avec l’arrivée imminente de la LGV, qui reliera très bientôt Bordeaux à Paris en deux heures ! De fait, Bordeaux sera « tellement proche de la capitale » que ça attirera énormément d’investisseurs, qui privilégieront les douces chocolatines et le soleil bordelais aux mornes pains au chocolat et la pollution de Paris. Et, dans un sens, cette mutation est déjà en train de se faire, puisque de nouveaux studios et branches d’éditeurs se sont récemment ouvertes, avec notamment Big Bad Wolf, ouvert il y a un peu plus d’un an, et qui prévoit de développer des RPG ambitieux.

Mandora

De plus, un autre acteur majeur est en train de changer la donne : Mandora. Cette association possède un appétit monstrueux et a pour ambition de dominer le monde de la pop culture dans le sud-ouest. Et pour les avoir suivi de loin ces dernières années, je ne peux que m’incliner, car en à peine six ans, le festival Animasia est passé d’un pitit salon geek choupinou à « la Japan Expo Bordelaise » en terme de fréquentation et de taille (toutes proportions gardées). Et c’est sans parler de la déclinaison miniature et printanière basée au Haillan, ni le Bordeaux Geek Festival (qui aura lieu du 14 au 16 Mai prochain au Parc des Expositions et auquel j’assisterai, bien évidemment #PubGratos), ou bien les différents événements organisés, comme les avant-premières de films d’animation japonais ou bien des sessions de bêta-test réunissant grand public et développeurs indépendants entre autres.

Le timing a cela avec moi qu’il est farceur et, encore une fois, il m’a joué un joli tour, puisque pas plus tôt que quelques heures avant notre discussion, Thomas et Gautier étaient en pleines discussions avec un des bras droit du président de l’association, révélant leur ambition de fédérer les studios de développement bordelais. Comme il a été dit par Thomas, si Mandora, asso grand public spécialisée dans les univers geek, et Bordeaux Games, assos de professionnels du jeu vidéo, faisaient une alliance, il y avait carrément moyen pour qu’une nouvelle puissance du jeu vidéo français fasse surface. Est-ce que ça arrivera ? Aucune idée, mais ça vend du rêve et quelque chose me dit que j’ai un coche à ne pas louper…

Maya la belle

Même si on ne s’en rendait pas compte, l’heure commençait à tourner, et après un tournant assez drôle à propos de Unity VS Unreal Engine dans lequel j’ai plus ou moins compris 80% de ce qui était dit, mais où mon cerveau n’arrivait plus à calculer quoi que ce soit pour prendre des notes, il était temps de conclure en discutant des projets de chacun des studios. Après tout, il aurait été idiot de ne pas en parler.

Semaine Digitale Bordeaux

Ainsi, du côté de Manufacture 43, le trio travaille sur un projet ayant pour nom de code Pawarumi (illustré en joli gif ininsérable ici). Il s’agit d’un shoot-them-up en 3D avec un gameplay 2D vu de dessus, influencé par Ikaruga et Radiant Silvergun se déroulant dans un monde futuriste où les mayas auraient dominé le monde. Le scénario est encore assez rudimentaire, mais il impliquerait des voyages dans le temps et l’ambition n’est pas de raconter une histoire linéaire, mais que le joueur puisse se créer sa propre histoire en interprétant les décors et en s’appropriant les aventures de son vaisseau. Comme dans Radiant Silvergun, chaque arme à une fonction secondaire. Et là où tout le monde pensera directement à Ikaruga (je n’y ai pas coupé), c’est dans le fait que le gameplay repose sur des couleurs se répondant. Mais là où Ikaruga ne jouait que sur le rapport entre le noir et le blanc, Pawarumi, lui, nous ferait jongler avec trois couleurs, façon pierre-papier-ciseaux. Ainsi, une couleur aurait l’ascendant sur une autre, tandis qu’une autre ne ferait pas grand chose, et, bien plus intéressant, la dernière soignerait le vaisseau allié et ennemi, puisque les deux vaisseaux rentreraient en symbiose. Le joueur bourrin trouvera ça complètement débile, mais celui qui aime bien prendre des risques pour maximiser son score trouvera l’idée plutôt osée. De plus, pour éviter de donner au public l’impression d’offrir « un shmup de plus » sur le marché, les développeurs ont pour intention de rendre les cinq niveaux suffisamment variés pour garantir au jeu une bonne rejouabilité, avec, par exemple, un niveau aux influences Tower-Defense.

N’étant pas un bon joueur de shmups et ayant énormément de problèmes à assimiler des mécaniques un minimum complexes (parce que j’ai une tendance assez malsaine à me mélanger les pinceaux), je me suis fait exploser en quelques secondes sur le premier niveau de démo, mais étant un peu masochiste sur les bords et parce que j’aime bien le genre malgré tout, j’ai bien accroché au projet. Alexandre m’a confié avoir envie de présenter le jeu au Tokyo Game Show, car ils n’auraient qu’à payer les billets d’avion si leur projet est accepté. Et dans un sens, ce serait la meilleure mesure à prendre, car les japonais sont toujours friands de ce type de jeu. Avoir son shmup mis en avant au TGS, c’est quand même la classe ! Le jeu sortirait pour la fin de l’année si tout se passe bien sur PC et possiblement mobile si jamais le succès suit. Et si le succès est bien plus grand qu’espéré, un portage sur consoles est envisagé… Mais ça, ça dépendra des fonds générés par la version PC.

Glitchr Studio, de leur côté, m’ont parlé de deux créations personnelles déjà sorties sur mobiles. Le premier, c’est Fly Dasher, a.k.a « Flappy Bird mélangé à Jetpack Joyride et Robot Unicorn Attack ». Comme pour Flappy Bird, il s’agit d’un jeu où il faut guider un animal volant dans un couloir rempli d’obstacles et éviter de se manger quoi que ce soit. Beaucoup diraient « clone de Flappy Bird » et s’en iraient, mais le twist, c’est que là, on peut dasher, ce qui influe sur la physique du personnage et la génération de niveau, certes aléatoire, sera toujours juste dans le sens où les obstacles suivent quand même des règles de génération prédéfinies.

De l’aveu même de Thomas, le jeu n’était pas censé sortir et était plus une expérience/CV qu’autre chose. Mais, après avoir vu le potentiel du jeu, il est finalement sorti. Cela permettait aussi dans un sens de tester les eaux du marché mobile et de se rendre compte de sa cruauté. Car, marché du mobile oblige et pré-conception à l’idée qu’il s’agissait de quelque chose de trop proche de Flappy Bird, il a bidé. Il a été décidé de changer de stratégie pour faire passer le jeu d’un jeu payant à un free-to-play, mais là encore, ça n’a été qu’un échec cuisant. Après tout, si on n’a pas la comm’ qui faut pour faire connaître son titre, seul notre cercle d’amis pourra faire le boulot… Et encore, ce moyen-là aussi est très aléatoire et ne peut garantir le succès du produit.

La réussite ne viendra donc qu’avec une application-guide pour Counter Strike nommée Grenade Practice qui permet d’apprendre aux joueurs à savoir où lancer ses grenades pour avoir l’avantage sur l’adversaire. Parce que Counter Strike faisait partie des mots-clés et que pas mal de joueurs avides de victoires n’ont pas nécessairement le temps ni l’envie de trouver les meilleurs spots, l’application a connu un plus grand succès. Pas non plus de quoi ouvrir un compte au Panama et rouler en Ferrari, mais au moins de quoi manger pendant quelques semaines. Dans tous les cas, ces deux expériences ont démontré qu’à moins d’être un gros nom ou bien d’avoir la chance de Gontran Bonheur, le marché mobile était un très gros piège et que le marché des freemiums les dégoûtait, principalement puisqu’il joue sur la psychologie et la manipulation des joueurs pour leur faire cracher quelques centimes. Pour Glitchr comme pour Manufacture 43, un jeu vidéo, dans l’idéal, ça sort complet et à un prix représentatif du produit fini.

Niveau projets en cours, en dehors des applications développées dans le cadre de contrats, Thomas et Gautier travaillent sur deux idées. La première, développée en collaboration avec Honeyponey, le frère de Gautier, est un jeu en arène 2D au gameplay asymétrique, où deux joueurs incarnent des chevaliers tentant d’avancer dans des donjons, tandis qu’un troisième joueur incarnera un boss faisant tout ce qui lui est possible pour les arrêter. Bien évidemment, le rapport de force est totalement déséquilibré et le boss est plus puissant et a plus de vie, mais est bien plus lent en plus d’avoir pour désavantage d’être seul. Le prototype qui m’avait été montré avait été produit en quatre jours, donc ça restait assez rudimentaire, mais l’idée est intéressante, d’autant plus que le joueur incarnant le boss aura le plaisir de connaître différentes formes et différents styles de gameplay au fil des salles.

Le second prototype est né après avoir visité un salon dédié aux réalités virtuelles et augmentées. Rien de concret pour l’instant, mais l’idée serait de pouvoir utiliser le HTC Vive et ses manettes pour jouer un archer dans un Japon médiéval confiné dans un espace restreint et devant se défendre face à une horde d’ennemis. Démons ? Soldats du Shôgun ? Renards zombies ? Rien n’a encore été décidé et tout dépendra de comment le Vive réagit.

J’ai d’ailleurs demandé à tout le monde leur point de vue sur la Réalité Virtuelle, pour voir si j’avais affaire à des Témoins de Morpheus et il s’est avéré que non. Le consensus était que la VR était une technologie fantastique, mais qu’il était certain qu’il ne s’agissait pas du Futur. Un futur du jeu vidéo, c’était clair et net, mais à cause de la perception publique, du prix et aussi de son accessibilité assez restrictive, il semblait difficilement concevable que l’on voit tout le monde se connecter à la matrice avant un sacré bail.

Regardant l’heure, on a tous eu un moment de flottement où l’on s’est dit qu’il serait peut-être temps de lever les voiles. C’est donc après un petit tour dans la cour intérieure que je suis parti, la tête remplie de conversations et le sourire aux lèvres… Et aussi avec un sacré tournis, mais bon, ça, c’était à cause de la fumée de clope et la fatigue.

Au final, ce que j’ai pu tirer de cette expérience, c’est qu’être indépendant, ça a autant d’avantages que d’inconvénients. Mais que, malgré tout, même si on a tendance à sacrifier plus, le sentiment d’accomplissement s’en retrouve décuplé, ce qui, d’un point de vue spirituel, est tout de suite bien plus sexy que de se dire que l’on n’a collaboré qu’un peu à un projet plus grand. Bien évidemment, ce n’est pas pour tout le monde (et mon expérience en tant que romancier me fait dire qu’il faut avoir un mental d’acier pour se plier à l’exercice) et il est carrément préférable de s’être fait les crocs avec de plus grosses équipes pour avoir de bonnes bases, donc ça, c’est un conseil qui n’a pas été explicitement mis en avant mais que je pense qu’ils seraient d’accord à donner. Et aussi ne pas totalement s’isoler du reste du monde juste parce qu’on a décidé de se la jouer solo. C’est juste débile en plus d’être dangereux. Cet exercice m’a carrément donné envie de rencontrer tous les acteurs du milieu, quitte à ce que je me répète un peu au fil des articles à venir, même si, dans un sens, ça permettra aussi de dégager d’éventuelles tendances dans le milieu du développement et voir si c’est autant la classe à Dallas. Et enfin, que le Coca Cola Life, c’est buvable. Oui, c’est la seule conclusion que j’arrive à trouver, donc voilà.

Benjamin « Red » Beziat