Cette édition 2018 de Japan Expo a non seulement été pour moi l’occasion d’essayer de nombreux jeux très attendus et de faire le plein de rencontres et goodies, mais aussi de rencontrer des poids lourds de l’industrie du jeu vidéo. Au fil des prochains jours, vous aurez donc l’opportunité de lire les interviews de trois développeurs passionnés et passionnants et je ne peux qu’être reconnaissant envers Koch Media, qui nous a permis de pouvoir mener ces interviews. Aujourd’hui, Sohei Niikawa, le président de Nippon Ichi Software ainsi que le créateur de la série Disgaea et directeur de nombreux titres de la compagnie !

On va commencer sur une question assez technique : Vous avez de fait eu l’occasion de vivre de l’intérieur les nombreux changements de l’industrie du jeu vidéo. Quels ont pour vous été les plus notables, qu’il s’agisse de l’essor du jeu en dématérialisé ou bien du online, voire quelque chose de totalement différent ?

Sohei Niikawa : J’ai commencé à travailler dans le milieu il y a environ une vingtaine d’années, à l’époque de la première PlayStation. La PlayStation 1, par rapport aux autres consoles, c’était un autre support que les cartouches et cassettes. C’était les CD. La création du CD a pour moi révolutionné le milieu, parce que ça a radicalement baissé les coûts de fabrication, ce qui a permis à des petites sociétés et entreprises comme Nippon Ichi Software de pouvoir se lancer dans le milieu. Jusqu’à présent les coûts étaient trop élevés et ça ne nous permettait pas de nous lancer là-dedans.

Rhapsody_Box_Art(Rhapsody : A Musical Adventure, un des premiers jeux sur lequel Mr. Niikawa a travaillé. Sorti uniquement au Japon et aux US sur PS1, il n’est arrivé en Europe pour la première fois que dix ans plus tard grâce à un remake sur Nintendo DS)

Du coup, ça me permet de partir sur une tangente : c’est notamment ça qui a permis la création de Rhapsody (NdlR : on y reviendra un peu plus tard) ?

Sohei Niikawa : C’est tout à fait ça ! C’eest grâce à ce changement de support que l’on a pu se lancer dans la création de jeux comme Rhapsody et qui par la suite nous ont permis d’enchaîner les productions jusqu’à celles que l’on sort aujourd’hui.

Ça peut paraître comme une question un peu stupide, mais je pense que ça en intéressera quand même pas mal : en quoi consiste le rôle de président d’une compagnie comme Nippon Ichi Software ? Quel est votre degré d’implication dans tous les projets que vous approuvez ?

Sohei Niikawa : Comme je suis le patron, je suis bien évidemment la personne en charge de dicter les lignes directrices. Mais ce qui, pour moi, est le plus important, c’est de me concentrer sur ce qui pourra créer le développement et la croissance de la compagnie dans le milieu du jeu vidéo.

Généralement, un entrepreneur tel que moi est une personne qui a le contrôle sur ses employés, qui les dirige et donne les ordres pour le développement de sa boîte. Mais ce qui m’intéresse, c’est d’être directement sur le terrain. De pouvoir créer et mettre les mains dans le cambouis pour participer à la création et la réalisation des jeux.

Pour le coup ça m’amène à la question suivante : comment est-ce que vous arrivez à concilier les rôles de président d’une compagnie telle que Nippon Ichi et celui de scénariste/réalisateur de ces jeux ?

Sohei Niikawa : Pour concilier ces deux rôles, je pense que je ne me débrouille pas trop trop mal *rires*. Mais ce sur quoi je me dois d’insister, c’est que j’ai des employés compétents qui me permettent de gérer la boîte et aussi de pouvoir prendre du temps pour moi, pour aider plus personnellement à la réalisation des jeux. J’ai un certain temps consacré à la création des jeux et je peux prendre le reste sur mon temps libre si je le désire.

Je pense qu’avec le temps, l’entreprise a gagné en maturité et les employés ont tellement gagné en compétence que je peux entièrement leur faire confiance et les laisser gérer les choses de leur côtés sans avoir à constamment rester derrière eux. Par exemple pour Labyrinth of Refrain, je n’y ai quasiment pas participé directement… Ce qui m’arrange, puisque ça me laisse plus de temps pour travailler sur les projets sur lesquels j’ai envie de m’impliquer plus personnellement.

Pour le coup, ça rejoint encore une fois totalement ma question suivante, puisque d’un point de vue extérieur, Nippon Ichi Software est une de ces compagnies qui peut sortir des jeux tout aussi sérieux que complètement fous. Donc comment est validé un projet de jeu et quel est le ratio de projets validés contre ceux mis de côté pour plus tard ?

Sohei Niikawa : On n’a pas de département marketing qui font des études de marché ou des choses de ce genre. On préfère plutôt se concentrer sur les idées de jeux qu’ont les employés, qui sont eux-mêmes à la base des otakus. De fait, ils savent pertinemment que tel projet visera telle tranche de la population et diront « Je veux faire ça ! » L’employé me confiera ensuite le pitch de son projet de jeu, et je réfléchirai sur si ça marchera vraiment ou non. Et si je pense que ça peut marcher et que ça a un bon potentiel de ventes, alors je donne mon feu vert et on est partis.

Pour le coup, j’ai l’impression que le public de Nippon Ichi Software a des goûts assez spécifiques qui font qu’ils adhéreront presque de manière automatique aux futures productions, tant ces jeux sont fait par des fans pour des fans.

Sohei Niikawa : Je pense que ce n’est pas toujours aussi simple de répondre aux attentes de nos fans, mais c’est bien le point sur lequel nous focalisons le gros de notre attention, car nous sommes nous-mêmes fans de ce que nous faisons.

On va maintenant aborder la série des Disgaea, dont vous êtes encore aujourd’hui un des scénaristes principaux. On sait tous les deux qu’écrire est un processus assez difficile et que bien trop souvent les personnages vont échapper à notre contrôle et faire des choses de leur côté sans que l’on aie véritablement prévu qu’ils aillent là où ils vont. Et avec les Disgaea, on a l’impression que vous faites presque exprès de les lâcher dans la nature et faire ce qu’ils veulent. C’est le cas ? Comment écrivez-vous un jeu comme Disgaea ? Comment contrôlez-vous ce chaos ?

Sohei Niikawa : Eh bien justement, je n’ai aucun contrôle ! *rires* Et je n’ai aucune intention de vouloir les contrôler, au contraire. Je les pousse à faire ce qu’ils veulent.

Prinny

Je connais ça aussi *rires* Et donc maintenant on va passer aux Prinnies et j’ai une question très personnelle. Leur apparence à la fois simple et unique couplée à leur fonction les rend à la fois très drôles et tragiques. Comment sont-ils venus au monde et d’où vient leur design ?

Sohei Niikawa : Ça remonte à quinze ans de ça, à la création de Disgaea 1. On avait besoin d’une mascotte pour le jeu. J’ai discuté avec le character designer de la série, Takehito Harada et de cette discussion est né un pingouin du nom de Prinny. Et pour une raison totalement inconnue, avec le temps, ce personnage qui était censé être la mascotte de Disgaea est devenu la mascotte de la boîte.

Une question assez simple : parmi tous les épisodes de Disgaea que vous avez pu écrire, lequel est votre préféré ? Celui que vous avez le plus aimé écrire ? Et quel est, globalement, le personnage préféré de toute la team ?

Sohei Niikawa : Le scénario qui m’a le plus marqué, comme tu as pu le comprendre est celui du premier épisode, parce qu’à l’époque le futur de la boîte reposait sur le succès de ce jeu et donc sans aucune retenue et sans réfléchir à l’avenir ou bien au futur de la série, j’y ai mis tout ce que je voulais faire. Et je pense que le succès de la série ne serait pas ce qu’il est sans ça.

Et pour ce qui est de ta seconde question, Laharl et Flonne.

Pour ma dernière question, on va aller un peu loin : il y a un certain temps, vous aviez travaillé sur un certain jeu nommé Rhapsody. Il s’agissait d’une des premières comédies musicales du jeu vidéo qui ne soit pas spécifiquement un jeu de rythme. Ma question est la suivante : à quand une suite spirituelle à ce jeu ? Je pense qu’il y a moyen de faire quelque chose de vraiment cool avec la technologie actuelle !

Sohei Niikawa : C’est une très très bonne question ! En effet, c’était un de mes premiers jeux et un des premiers RPG musicaux. J’y suis encore très attaché, donc je n’exclus pas la possibilité de faire soit un remake, soit une suite avec une nouvelle histoire.

Je suggère juste : ça serait génial sur Nintendo Switch !

Sohei Niikawa : Eh bien si jamais ça se fait, ça serait sur Nintendo Switch et PS4 !

Merci beaucoup !

Interview Sohei Niikawa

Benjamin « Red » Beziat