Entre Travis Strikes Again : No More Heroes (que je vais abréger en TSA) et New Super Mario Bros. U Deluxe, j’ai l’impression que 2019 a décidé de se placer sous le signe de la difficulté. Mais là où Mario était difficile en lui-même, TSA est difficile à décrire, voire même à critiquer tant il s’agit du jeu le plus volontairement bizarre auquel j’ai pu jouer depuis des années… Et aussi parce qu’une bonne grosse partie du fun que j’ai pu en retirer vient du fait que j’avais volontairement décidé de me couper de tout trailer et toute info depuis que j’ai testé la démo du jeu à Japan Expo.

Et parce que les surprises font tout le sel de ce jeu, je vais vous demander de me faire confiance et de ne pas aller plus loin que le verdict qui va tomber d’ici un ou deux paragraphes. J’élaborerai un peu plus en dessous, quitte à lâcher ce que je considère être d’assez gros spoilers (même si je ne ferai quand même qu’effleurer la surface, ça reste des éléments beaucoup trop surprenants pour mériter d’être découverts in-game).

Donc mon avis sans spoilers et en très condensé est que TSA est le premier jeu de Suda51 qui donne vraiment l’impression qu’il est retourné aux sources. Ma théorie est que le faible budget alloué au jeu l’a privé de nombreux raccourcis et donc il a été forcé de prendre beaucoup plus de risques créatifs pour réussir à accomplir sa vision. Et ça, c’est plutôt génial, puisqu’il parvient à contourner énormément d’obstacles budgétaires pour offrir une tonne de surprises qui vous prendront vraiment de court. Si vous aimiez les jeux de Suda51 à l’époque de Flower, Sun & Rain ou Killer7, vous devriez être aux anges. Si vous ne connaissez pas l’univers de Suda51 et vous y connaissez un peu en cinéma, j’ai envie de dire que TSA est l’équivalent jeux vidéo d’un film de Quentin Dupieux (et dans ce cas précis, Rubber) ou bien des Monty Pythons, où la logique n’a pas lieu d’être.

Cependant, d’un point de vue gameplay, c’est là qu’on sent le manque de budget de TSA. C’est un beat-them-all un poil trop basique pour satisfaire les joueurs qui ont été biberonnés aux jeux Platinum Games. Certes, il y a une bonne variété dans les ennemis, mais il nous faudra un sacré paquet de temps avant d’accepter le système de combat pour ce qu’il est, notamment avec le fait que l’on n’a pas un contrôle total de ses actions. Si on donne un coup et que l’on veut esquiver, il faudra attendre que notre coup soit terminé et attendre une demi-seconde avant que Travis ne bouge. Idem avec les attaques spéciales et on peut bien trop vite se prendre des coups que l’on voyait venir à des kilomètres. Cela étant dit, une fois que l’on s’y est adaptés, ça passe un peu mieux, même si le gameplay ne changera pas des masses au fil du jeu. La présentation et la façon de finir les différents niveaux changera certes, mais le coeur du gameplay restera grosso modo le même et sachant que certains niveaux traînent un poil en longueur, ça peut un peu casser le fun de l’expérience globale et ce même si finir le jeu sans trop s’occuper des contenus annexes ne durera que sept/huit heures.

Bref, TSA est un jeu qui mise beaucoup plus sur le fait qu’il soit un jeu Suda51 qu’un jeu vidéo tel qu’on l’entend et c’est pour ça que mon verdict sera double. TSA va diviser les joueurs comme rarement un jeu l’aura fait… Si vous êtes un fan de Suda51, je sais d’avance que vous prendrez un pied monstrueux en y jouant, car le directeur est parti en totale roue libre pour nous livrer un bon petit apéritif en attendant un No More Heroes 3 qui aura beaucoup plus de budget et qui je sens prendra un peu moins de risques. En revanche, si vous n’êtes pas familier avec l’oeuvre d’un des artisans les plus uniques du milieu et que vous cherchez un jeu d’action un peu « normal », les choses vont grandement se compliquer. Comme dit plus haut, le gameplay est un poil trop limité et certaines longueurs risquent de vous rebuter, sans compter que quand je dis que TSA est bizarre, il est BIZARRE ! Donc si vous êtes dans ce deuxième cas de figure, il vous faudra avoir un esprit très ouvert ou bien d’abord jouer à Shadows of the Damned ou bien le premier No More Heroes pour vous frotter à un des jeux de Suda51 les plus classiques, histoire de plonger dans le bain de l’étrange en commençant par le pédiluve.

Maintenant que ça, c’est dit, je vais un peu plus entrer dans le descriptif en dessous de l’image de verdict final et aborder certains aspects que l’on pourrait considérer comme des spoilers avec le scénario, la structure et la présentation si jamais vous souhaitez en savoir un minimum avant de dépenser 30€ pour un des jeux les plus étranges de 2019. Pour le coup, je vous déconseillerais de continuer, car je pense vraiment qu’il s’agit d’un de ces jeux qui s’apprécient au mieux en n’en connaissant presque rien, mais je préfère vous laisser l’option de faire votre choix en étant un peu plus informés (et aussi je me sentirais mal si vous achetiez ce jeu totalement à l’aveugle et vous finissiez déçu).

No More Heroes Verdict

A Hero No More

Situé quelques années après les événements de No More Heroes 2 : Desperate Struggle, l’histoire de Travis Strikes Again nous place dans les bottes d’un Travis Touchdown parti s’exiler au fin fond de nulle part pour jouer tranquillement à ses jeux préférés et échapper un petit moment à la vie d’assassin. Mais ses petites vacances prennent immédiatement fin le jour où Bad Man, père d’une des assassins que Travis a zigouillé dans No More Heroes 1 tombe sur sa caravane et tente de le tuer. Après un duel épique que l’on ne verra pas par manque de budget, les deux protagonistes sont aspirés par la console maléfique que Travis avait acheté sur eBay et tous deux doivent collaborer pour terminer le jeu dans lequel ils sont coincés pour ne pas y mourir.

Après avoir fini le premier jeu, les deux assassins décident de faire une trêve, car ils apprennent qu’en réunissant/terminant les seuls six jeux de la console (qui ne ressemblent absolument pas à des Dragon Balls), ils pourront voir un de leurs voeux exaucés. Sans surprise Bad Man souhaitera ramener sa fille à la vie, tandis que Travis… Je ne vais pas non plus tout raconter. Dans tous les cas, sachez juste que si vous accrochez au délire du jeu, l’histoire est étrangement prenante et je voulais absolument en voir la fin, au point que ça compensait pas mal certains aspects moins reluisants du gameplay.

Je ne vais pas revenir dessus, mais même si le gameplay reste grosso modo le même d’un jeu maudit à l’autre, leur structure permet d’offrir un minimum de variété bienvenue. Car là où le premier présente le gameplay en vue du dessus, un autre présentera une vue de côté pour faire de la simili-2D ou bien de trois-quarts. Hélas, cette variété dissimule assez mal un level-design beaucoup trop basique de manière globale et lorsque chaque jeu maudit commence à se renouveler ou bien à devenir intéressant, on arrive déjà au boss et c’est fini. Couplez à ça le fait que certains de ces jeux trainent beaucoup trop en longueur pour pas grand chose et vous pourrez comprendre pourquoi je suis un peu mitigé quant à recommander ce jeu à ceux qui ne connaîtraient pas encore les délires de Suda51.

Et en parlant de délires, l’équipe de Grasshopper Manufacture a trouvé un excellent moyen de palier au budget restreint pour tout ce qui concerne la narration sans pour autant que ça ne dénote avec le reste du jeu. Ainsi, pour expliquer comment Travis obtient les différents jeux, on suit ses aventures à travers le monde lors d’assez longues séquences de jeu d’aventure textuels. Pas d’images qui bougent, uniquement du texte et des portraits de personnages façon jeu PC des années 80. Et ça marche vraiment, mais alors vraiment bien, au point que l’on peut parfois s’imaginer ce qu’il se passe et les lieux avec des simples images et du texte. Après, je dois avouer que certaines séquences sont un poil plus longues que d’autres, la première durant presque dix minutes là où les autres durent en moyennent cinq, mais ça colle bien au délire global et ça permet de bien poser une histoire intéressante et des personnages plutôt uniques en plus d’avoir des punchlines vraiment drôles.

Enfin, pour ce qui est graphismes et sons, c’est un peu mi-figue, mi-raisin : les personnages rendent super bien grâce à un Unreal bien exploité (sauf en mode portable, où ça se transforme un peu en bouillie), mais les décors, bien que stylisés, sont un peu trop souvent vides. Et pour ce qui est du son… Je n’étais pas vraiment fan des musiques, qui sont pour la plupart des boucles un peu trop courtes sans véritable mélodie marquante en dehors de thème de Travis que l’on a déjà entendu dans les épisodes précédents.

Bref, je ne vais pas refaire la conclusion que j’ai déjà écrite plus haut, mais j’espère que vous comprendrez pourquoi mon verdict final fluctue vraiment en fonction du type de joueur que vous êtes. Il faut avoir un esprit vraiment ouvert pour TSA, car il ne s’agit pas d’un de ces jeux qui va tenter tant bien que mal de plaire à tout le monde dans le vague espoir d’avoir un gros succès commercial. C’est une anomalie dans le paysage actuel et un délire très particulier d’un auteur du jeu vidéo qui a une vision très différente de celles d’autres créatifs et qui va entreprendre de faire les jeux qu’il veut faire, quitte à exploser certaines barrières dans lesquelles le milieu commençait à un peu trop confortablement s’installer. Personnellement, ayant déjà fait quelques uns de ces jeux, je ne pouvais qu’être conquis, mais je sais d’avance que ça ne plaira pas à tout le monde, car ça n’en reste pas moins un jeu un poil bancal en terme de pur jeu vidéo. Pas mauvais, très loin de là, mais comme le diraient certains vidéastes, « en termes de pur jeu vidéo, c’est pas oufissime ».

Travis Strikes Again : No More Heroes est une expérience. Un laboratoire d’idées en attendant No More Heroes 3 et j’espère que la suite à venir comportera encore ce petit grain de folie tout en se la jouant un minimum plus « safe« .

Benjamin « Red » Beziat