On vit dans une période plutôt intéressante du côté de chez Nintendo : ayant déjà sorti une belle pelletée de titres inédits et de qualité au cours de la dernière année pour disposer d’un catalogue plus que solide et s’étant mis au défi de sortir un titre majeur tous les mois, la compagnie a décidé d’opter pour une stratégie que certains pourraient juger quelque peu « cheap » en faisant quelques portages de jeux Wii U ici et là entre chaque inédit. Après tout, développer un jeu d’un calibre digne de Nintendo, ça prend du temps et ça demande énormément de ressources, donc ce n’était pas non plus comme s’ils pouvaient faire autrement. En plus, ça serait épuiser bien trop rapidement un nombre de cartouches certes volumineux, mais pas infini.

Mais l’avantage d’un tel système, c’est que ça permet aussi de réparer certains injustices liées au succès plus que mitigé de la Wii U. Donkey Kong Country : Tropical Freeze est un jeu incroyable. Extraordinaire. Un des meilleurs jeux de la console et même un des meilleurs platformers de tous les temps.

Mais il était sorti sur Wii U. Et ce n’était pas Metroid Prime 4, attendu par beaucoup comme étant « le prochain Retro Studios » qui finalement n’est jamais arrivé et a donc été boudé par un public quelque peu vindicatif.

Alors certes, si l’on se fie à des sites comme VG Chartz (qui reste très relativement fiable), le titre a quand même dépassé le million et demi de ventes, ce qui reste plutôt honnête… Sauf si on le compare à Donkey Kong Country Returns, qui lui a facilement dépassé les 4 millions de ventes sur Wii, sans compter le portage sur Nintendo 3DS (ou bien les ventes colossales des New Super Mario Bros/Mario Kart/etc, même si la comparaison est assez malhonnête à faire vu l’aura de Mario par rapport à Donkey Kong).

Il est un adage qui dit que l’excellence ne se vend pas et je suis encore et toujours enclin à y croire (coucou Ôkami à l’époque de sa sortie), mais je suis tout de même bien heureux de voir que Nintendo n’a pas abandonné le jeu et a décidé de lui redonner une seconde chance en lui offrant au passage ce petit bonus d’accessibilité qui faisait cruellement défaut à l’original dans le but de le rendre plus attirant auprès des joueurs qui ne s’attendraient pas à se trouver face au Dark Souls des platformers (ce gag me fera toujours rire).

Chillest Funk

Parce que je suis quelqu’un de sympa, parce que vous n’avez été qu’un trop petit million et demi à le faire et aussi parce que ma critique du jeu original est désormais perdue dans les limbes des sites coupant leurs serveurs et ainsi effaçant absolument toute trace de mes deux années de travail dessus, je vais revenir en détail sur pourquoi Donkey Kong Country : Tropical Freeze est un des meilleurs jeux de ces cinq dernières années.

Donkey Kong Country : Tropical Freeze, c’est l’aboutissement d’années d’évolution du genre. C’est l’évolution de la personnalité dans un jeu, avec des animations complètement folles et un sens du détail tenant du masochisme pur. C’est l’évolution de la musique, avec un même compositeur qui revient vingt ans plus tard pour montrer que son style est désormais maîtrisé et frôlant le divin. Et c’est aussi et surtout l’évolution du gameplay, qui parvient à trouver un équilibre presque parfait dans sa difficulté, qui est certes élevée, mais rarement trop cheap (sauf pour le niveau 6-5, qui peut aller manger un grec tant il vous bouffera des vies… J’en ai perdu QUARANTE sur un seul fichu segment !!!) et qui prend l’approche Nintendo de prendre un concept (voire plusieurs) pour s’amuser avec le temps d’un niveau avant de passer au suivant, tout en le saupoudrant des petites améliorations apportées ici et là par des jeux comme Rayman Origins et Super Meat Boy, qui avaient rendu la nage jouissive et la mort fun (même si DKC comporte toujours un système de vies).

Un des exemples concrets que j’avais évoqué il y a quatre ans (déjà) et qui montrait bien cette évolution venait d’un point de comparaison entre Donkey Kong Country : Tropical Freeze et son prédécesseur direct : Donkey Kong Country Returns. Returns était certes très bon, mais les niveaux en chariot et ceux en fusée étaient de véritables purges, bouffant des vies comme des petits paquets de Smarties. Pourquoi ? Une abondance de pièges venus de nulle part et le fait que l’on perdait une vie en un coup. La solution à ce problème était tellement simple, mais pourtant pas si évidente à envisager : ajouter un second cœur lors des phases en véhicule. Non seulement cela permet aux joueurs d’avoir le droit de faire des erreurs… Mais ça permet aussi aux développeurs d’être infiniment plus sadiques en mettant beaucoup plus de pièges sur le chemin. Bien évidemment, mettre plus de pièges aurait été gratuit et même si pas mal de ces pièges le sont, ils sont aussi pour la plupart mieux annoncés et l’on a donc un peu plus le temps de les anticiper.

Une autre amélioration par rapport à Returns qui rend Tropical Freeze encore plus impressionnant vient de la mise en scène. Là où Returns faisait mumuse avec le premier et le second plan sans trop de conviction, Tropical Freeze va bien plus loin en jouant avec les angles de caméra pour rendre certains niveaux beaucoup plus dynamiques et vraiment montrer le travail de titan entrepris par les animateurs. Pour le coup, ça ne m’étonnerait pas que le gros du staff ayant bossé sur les décors avait auparavant bossé dans le cinéma ou les séries d’animation tant les détails insignifiants sont nombreux et le sentiment de vie est présent et, surtout, à une exception près, le jeu reste lisible en toutes circonstances, ladite exception étant lorsque la caméra décide d’opter pour un angle de trois quarts pour certains niveaux en fusée, faisant que l’on a du mal à bien jauger les distances avec certains obstacles.

Rejouer au jeu toutes ces années après, c’est non seulement se rendre compte que l’on se souvient encore très bien de la globalité, mais c’est aussi redécouvrir certaines choses, comme d’excellents niveaux que l’on avait totalement oublié… Mais aussi redécouvrir un détail bien déplaisant et un autre un poil brutal.

Funkier, Better, Faster, Stronger

Donkey Kong Country Tropical Freeze Boss

Le défaut bien déplaisant est que, visuellement parlant, les mondes 3 et 4 sont un peu ennuyants par rapport à l’audace que proposent les mondes 2, 5 et 6. Le monde 3 propose tout de même quelques idées intéressantes et cool, et notamment un des niveaux les mieux mis en scène de tout le jeu… Mais le monde 4 est tout ce qu’il y a de plus basique et plat. Une succession de niveaux aquatiques qui n’offrent que trop peu de diversité, à une exception notable qui reprend un des meilleurs gimmicks visuels des épisodes de Retro Studios (et une des meilleures musiques du jeu).

Le détail brutal, quant à lui, repose sur le fait que j’avais oublié à quel point le pic de difficulté arrive sans véritablement prévenir dès l’ouverture de l’avant-dernier monde et ne fait qu’augmenter de manière drastique au fil des niveaux, culminant en des moments de pure rage et d’envie de balancer les Joy-Cons contre le mur le plus proche.

Et c’est sûrement à cause de ce pic de difficulté que Nintendo a décidé pour cette version Switch de se débarrasser du Super Guide dans le mode Classique pour le remplacer par le Funky Mode, un mode qui n’est sélectionnable qu’en lançant une nouvelle partie (et qui d’ailleurs est proposé en premier quand on lance le jeu pour la première fois pour s’assurer que les gens savent qu’il est là et qu’il vaut mieux qu’ils le prennent) et qui transforme un jeu destiné à un public d’hardcore gamers en une balade dans le parc.

Si vous êtes un joueur en pleine possession de vos capacités et que vous avez un minimum d’amour propre, choisissez le mode Classique, car en mode Funky, vous incarnez plus ou moins un dieu quasi invincible qui roulera… Enfin, surfera sur la compétition. Funky Kong possédera CINQ cœurs, là où Donkey Kong n’en a que deux et ne peut en avoir que deux de plus avec les compagnons. Il peut aussi faire des roulades à l’infini, nager sans avoir à se soucier de sa jauge d’oxygène, faire un double-saut, ralentir sa chute façon Rayman et est totalement immunisé aux nombreux pics qui jonchent souvent le sol. J’ai fini le jeu une seconde fois (si on compte ma première fois sur Wii U) en mode Classique pour pouvoir pleinement revivre cette relation d’amour que j’entretiens avec ce jeu avant de relancer une troisième partie en mode Funky par curiosité et je n’ai pas tenu longtemps tellement je me sentais trop puissant en jouant avec Funky. C’était tout simplement pas stimulant.

Autrement dit, ce mode est adapté aux personnes n’ayant pas trop d’expérience dans les jeux de plateforme ou bien qui veulent apprécier un excellent jeu mais qui n’ont pas les moyens physiques de tenir face à un titre qui en temps normal peut parfois demander des efforts parfois beaucoup trop importants (on l’entendrait presque crier « RÉFLEXE ! » par moments), mais si vous êtes quelqu’un qui a de l’expérience ou bien la chance de pouvoir jouer normalement, vous vous devez de jouer au jeu avec son équilibrage d’origine, ne serait-ce que pour avoir un jeu qui vous durera deux à trois fois plus longtemps et vous permettra de prendre votre temps et comprendre les intentions des level-designers.

None the Wise-r

Donkey Kong Country Tropical Freeze Ennemies

J’ai déjà parlé de la présentation exceptionnelle, mais je n’ai pas encore parlé des performances du jeu sur Nintendo Switch par rapport à la version Wii U.

C’est bien simple : c’est beaucoup mieux que sur Wii U ! Les temps de chargement sont réduits de manière drastique, faisant que l’on attendra plus une éternité pour lancer un seul niveau et ça ne ralentit jamais. Je ne saurais dire si ça tourne à 30 ou 60fps, mais ça reste fluide et très bien animé. De plus, le rendu des couleurs est im-pec-cable ! Je n’ai joué au jeu qu’en mode portable à défaut d’avoir le dock à disposition et ça rend vraiment bien sur l’écran de la console. Le jeu était certes pensé pour les consoles de salon, certains niveaux pouvant atteindre le quart d’heure (si ce n’est plus si on perd plus de quarante ****** de vies sur une seule ****** section d’un ******** de niveau), mais pour un bon trajet en train d’une trentaine de minutes, ça passe largement.

J’en profite aussi vite fait pour saluer les character designers qui se sont occupés des ennemis, puisqu’il s’agit d’un des plus beaux bestiaires que j’ai vu dans un jeu depuis des années. C’est à la fois simple et bourré de charme et de personnalité. Et en dehors des boss du monde 3 et 4, tous sont mémorables, même si je regrette que Lord Fredrik, a.k.a. le grand méchant du jeu soit presque relégué à un rôle de figuration tant il ne fait rien et son but n’est pas totalement clair.

Niveau durée de vie, le jeu est relativement court à première vue. Peut-être est-ce aussi parce que je l’avais déjà fini à l’époque, mais il ne m’a fallu à peine plus de six heures pour en voir le bout en ligne droite. Cependant, je dois aussi avouer que je l’ai fini en ligne droite comme un sagouin, car je n’ai pas exploré les niveaux à fond, à la recherche des pièces de puzzle pour la plupart très bien planquées et je n’ai pas fait plus de niveaux que nécessaire pour finir chaque monde, sachant que chacun d’entre eux possède entre deux à quatre niveaux cachés et le postgame est assez conséquent, avec une poignée de défis bien corsés dissimulés derrière une course au 100% des plus démentiels. Finir le jeu, c’est assez rapide, mais le terminer…

Enfin… Il est tout bonnement impossible de parler de Donkey Kong Country : Tropical Freeze sans évoquer le travail colossal de David Wise sur la bande-son ! Non seulement le nombre de pistes qu’offre le jeu est impressionnant, mais le nombre de pistes qui frôle le génie lui est presque égal. Toutes les musiques sont bonnes, collant toujours de manière admirable au niveau qu’elles accompagnent. C’est un très bon signe que j’écoute encore et toujours la bande-son même quatre ans plus tard et que je l’ai réécoutée sans aucun déplaisir en refaisant le jeu.

Au final, je pense que vous l’aurez compris : il FAUT que vous achetiez Donkey Kong Country : Tropical Freeze ! Même si son quatrième monde est un poil moins bon comparé au reste, le jeu propose un ensemble de niveaux maîtrisés d’une richesse folle et d’une inventivité exemplaire. Ce jeu est considéré à raison par les level-designers comme une masterclass à lui tout seul et il suffit d’y jouer pour comprendre pourquoi. Et non seulement il offre un challenge que les joueurs réclamaient à corps et à cris des productions Nintendo, mais en plus la version Switch offre une option plus que bienvenue qui certes sera inutile aux yeux des plus passionnés, mais qui permettra à tous les types de joueurs de pouvoir pleinement apprécier un des meilleurs jeux de la décennie! Je ne peux que recommander ce titre à tout le monde un tant soit peu intéressé par l’idée de jouer à un bon jeu et, sans sourciller, si vous n’avez pas une Switch, je ne peux que vous conseiller de mettre ce titre dans votre liste de jeux à acheter en priorité avec la console, car il serait bien dommage que vous boudiez à nouveau un titre qui mériterait d’être déjà dans votre bibliothèque.

J’espère que Nintendo fera la même chose avec Paper Mario Color Splash… En voilà un autre de jeu Wii U qui s’est fait injustement bouder et qui mériterait bien de ressortir pour enfin connaître le succès qu’il mérite.

Benjamin « Red» Beziat