À l’instant où j’écris ces lignes, ça fait deux jours que j’ai lu la dernière page de Billy Bat avec des larmes aux yeux, suivi par cinq bonnes minutes de pleurs causés par un sentiment de vide existentiel. Depuis, je me creuse les neurones pour tenter de trouver un bon moyen de formuler une critique de ce manga exceptionnel tout en essayant de ne pas trop en dire, car la dernière série de Naoki Urasawa est tout bonnement parfaite. N’importe qui un tant soit peu prêt à s’investir dans cette assez longue série aura l’occasion de rire, de pleurer, d’avoir une sacrée envie d’acheter le tome suivant une fois celui en sa possession lu, ainsi que de probablement se ridiculiser dans la rue ou les transports en hurlant « WHAT THE F- » à de très… Très nombreuses reprises.

Chauve-souris Noire, Chauve-souris Blanche

Billy Bat

Je ne vais pas entrer dans les détails car ce serait ruiner une bonne partie de l’intérêt de la série, donc je ne vais parler que du tout début : Kevin Yamagata est un jeune auteur de comics américain à l’origine de la création de Billy Bat, une série narrant les aventures de Billy Bat, une chauve-souris détective parcourant le globe et vivant de nombreuses aventures extraordinaires. Un beau jour, Kevin tombe sur un manga japonais mettant en scène une chauve-souris étrangement similaire à son Billy Bat. Se rendant compte qu’il a peut-être inconsciemment plagié ce personnage, l’auteur décide de partir au Japon pour rencontrer le créateur du « Billy japonais » pour s’excuser et voir s’il peut quand même continuer à dessiner les aventures de son Billy, moyennant une éventuelle compensation. De là, les choses prennent un tournant assez étrange, puisque Kevin peut voir Billy lui parler directement, comme s’il était réel. Devient-il fou ? Peut-être. Le mystère reste entier et nous tiendra en haleine un bon moment.

Une autre question que le lecteur se posera bien assez vite, c’est pourquoi est-ce que l’intrigue principale est souvent interrompue par des séquences pouvant parfois durer un tome entier pour mettre en scène des personnages radicalement différents, sans aucun rapport avec Kevin, et se déroulant à des époques différentes. Cette question restera un suspens un long moment et la réponse est non seulement intéressante, mais incroyablement satisfaisante.

Et cette satisfaction vient principalement du découpage de la série, qui alternera très régulièrement avec le présent de Kevin, le passé d’autres personnages et parfois même le futur, sans aucune véritable logique apparente. Dans d’autres séries, ça pourrait vite devenir lourdingue et énervant, mais Naoki Urasawa a réussi on ne sait comment à faire de cette structure une impressionnante force pour le récit, car les révélations arrivent toujours pile au bon moment pour nous choquer. Ainsi, un personnage techniquement mort d’un point de vue chronologique par rapport à Kevin peut réapparaître plus tard dans le récit (toujours dans son époque à lui, bien évidemment), pour apporter au lecteur un élément qui permettra d’éclairer la suite, voire même créer une tension qui normalement ne devrait pas avoir lieu d’être en superposant deux scènes se déroulant à deux périodes différentes, mais qui nous feront quand même frénétiquement tourner les pages. Là, où ça devient encore plus cool, c’est que même si l’histoire s’auto-spoile en insérant des scènes montrant certains personnages continuer à vivre leurs aventures dans le « futur », on continue de se poser des questions sur le comment ils ont fait pour en arriver là. Si la narration avait été abordée d’un point de vue strictement chronologique, où chaque scène aurait été placée dans un ordre logique, je suis plus ou moins certain que l’histoire aurait été moins fascinante.

(On entre dans la partie où ce qui va suivre peut être considéré comme des spoilers. Je reviens un peu plus sur le fond tout en tentant de rester vague, donc n’hésitez pas à zapper jusqu’au dernier paragraphe si vous ne voulez absolument rien en savoir. Oh, et évitez d’aller sur Google Image. J’ai galéré pendant 10 minutes pour trouver des images représentatives du manga sans non plus qu’elles ne spoilent.)

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La forme est excellente, mais le fond est juste parfait. Mêlant éléments fantastiques et faits historiques concrets, on se retrouve avec un manga qui peut parfois bouleverser nos repères et qui pourrait ravir les complotistes tant il s’attaque aux coulisses de certains événements majeurs. On sent qu’au fil de l’histoire, Naoki Urasawa n’a fait que mieux comprendre le fonctionnement de notre monde pour rendre le sien encore plus réaliste, provoquant une réaction quasi-viscérale chez le lecteur qui pourra potentiellement se reconnaître dans certains événements ou personnages.

Cependant, et c’est aussi ça qui risque de trop vite dater cette série : l’auteur s’aventure un peu trop près de l’actualité. L’écriture du manga s’étant terminé en 2016, on peut y voir quelques allusions à des événements s’étant déroulés ces dernières années, comme la crise syrienne ou bien la conquête de la Crimée par la Russie. Si l’écriture avait commencé un ou deux ans plus tard tout en conservant le même récit, elle aurait ainsi pu prendre en compte l’horrible transformation que subit actuellement notre monde et sa conclusion aurait pu potentiellement être différente.

Il ne faut pas se voiler la face : chaque oeuvre est politique, et Billy Bat en est l’exemple parfait, transmettant un message tellement puissant qu’il peut susciter des réactions très violentes chez le lecteur. Mais là où c’est encore plus puissant, c’est que, malgré ça, l’oeuvre reste assez neutre, préférant plus souvent énoncer des faits pour les utiliser dans sa narration que de les commenter. Comme dit plus tôt, Naoki Urasawa, par le biais de sa série, joue principalement le rôle d’observateur de notre monde et livre une analyse de l’actualité parfois tellement juste qu’elle en devient effrayante.

Ses personnages sont écrits avec une finesse parfois exemplaire, la star étant bien évidemment Kevin Yamagata, dont on suit la vie et son évolution avec une fascination presque malsaine. Absolument tous les autres personnages sont tout aussi mémorables, avec notamment un de ses antagonistes, qui est un monstre de charisme et de classe. La seule ombre au tableau les concernant vient du design de certains, qui semblent tout droit recyclés d’autres autres oeuvres d’Urasawa, même si ce phénomène est symptomatique de l’auteur et je n’ai pu m’empêcher de presque constamment faire un parallèle entre un des personnages féminins de Billy Bat et un de ceux de Monster, qui, l’alcoolisme en moins, sont plus ou moins la même personne. Urasawa oblige, le trait est maîtrisé et parfait et le découpage des scènes est encore une fois maîtrisé. Billy Bat est un plaisir à regarder et à lire.

En bref, Billy Bat est un des meilleurs mangas que j’ai lu de ma vie. Captivant de bout en bout, d’une pertinence folle et doté d’un rythme complètement fou, Naoki Urasawa transporte le lecteur dans un monde à la fois éloigné et trop proche du nôtre. Certaines des vérités qu’il énonce peuvent tout simplement être déprimantes, mais elles n’en restent pas moins importantes à lire. Et même au delà de toute considération politique, l’histoire qui nous est proposée ici est d’une maîtrise tellement folle que je me demande pourquoi vous n’avez pas déjà fermé cette fenêtre et ouvert une autre vers la première boutique en ligne en vendant. Je sais d’expérience que trouver la plupart des tomes est une plaie, avec la plupart des boutiques n’ayant en stock que trois tomes au pif et actuellement le dernier qui vient tout juste de sortir en vingt exemplaires à chaque fois (et pourtant j’habite sur Bordeaux, donc ce ne sont pas les librairies qui manquent), donc si vous privilégiez l’achetant en boutique physique, demandez directement à votre libraire de le commander. Par contre, il faut que vous sachez ceci : si vous commencez à lire Billy Bat, préparez-vous à connaître un trou dans votre compte en banque causé par l’achat quasi simultané de vingt livres en plus d’une crampe dans les doigts tant vous vous agripperez aux pages pour savoir ce qu’il se passe ensuite.

C’est si bon que ça.

Benjamin « Red » Beziat